Moi, Damien, à Hanoï lors de mon adoption... J'avais 4 mois !

 

 

 

 

 

Eté 1993

Constitution du dossier en 4 exemplaires avec certification par le Ministère des Affaires Etrangères Français.

 

Septembre 1993

Traduction du dossier par l'Ambassade du Viet-Nam en France en un temps record (à peine 15 jours alors que l'on nous avait prédit un mois, voire un mois et demi).

 

Octobre 1993

Envoi du dossier complet à Mme HA au Ministère du Travail, des Affaires Sociales et des Invalides de Guerre à Hanoï.

 

Novembre 1993

Appel téléphonique à Mme HA (elle parle français) qui nous conseille vivement de venir à Hanoï pour effectuer nous même les recherches car son service est saturé de travail et ne peut donc s'en charger.

 

Samedi 27 novembre 1993

Arrivée de Jean-Paul à Hanoï vers 14h. Location d'une voiture avec chauffeur à l'aéroport, destination un hôtel "recommandé" par la personne qui partage la location de la voiture (13$ pour moi, 12 pour elle). Première galère : l'hôtel est pourri, la chambre que l'on me montre est encore occupée (?) et très chère (40$).

Première balade en cyclo-pousse pour aller à l'Ambassade de France. Arrivée à 17h30 ; on me donne l'adresse d'un hôtel pas trop loin. Deuxième balade en cyclo mais l'hôtel est complet. Je demande à l'hôtesse de dire au cyclo de bien vouloir me conduire jusqu'à un hôtel ayant des chambres libres... mais pas trop cher.

Après 2 arrêts devant des hôtels complets, le cyclo me dépose enfin devant l'hôtel THIEN HUONG. Il est 19h20 et il fait nuit depuis 18h. Je lui donne 5$ pour toute cette course. La chambre que l'on me montre est correcte - clim, frigo, téléphone ... - mais à 30$ ; de toute façon, je n'ai pas le choix !

Je téléphone à Evelyne pour lui signaler que je suis bien arrivé et lui donner le numéro de l'hôtel (c'est elle qui me rappellera demain). Chance ! Je croise une Suissesse qui parle français. Elle partait manger, je l'accompagne mais je suis trop fatigué pour avaler quoi que ce soit. Cet hôtel est situé en plein milieu d'un quartier très fréquenté - nombreux commerces de vètements ouvrant très tard - et ce n'est qu'au petit matin que j'arrive à trouver le sommeil !!!

Dimanche 28 novembre 1993

A peine levé, je parle à la réceptionniste de la raison de ma présence à Hanoï et de mon intention de visiter tous les hôpitaux de la ville. Elle me signale qu'elle est née à l'hôpital de BACH MAI (ce sera donc ma première destination), me fait cadeau d'un plan de Hanoî et me promet de me changer de chambre (20$) dès ce soir. La Suissesse me propose de visiter ensemble la vieille ville. Le dimanche étant le seul jour de repos des services publics (le privé, lui, redouble d'activité) j'accepte car j'ai remarqué sur le plan que l'hôpital VIET DUC est juste à côté de notre balade.

Nouvelle galère pour trouver de quoi manger - ni elle ni moi n'avons idée des prix - ce sera une pomme qui fera office de repas de midi. Les rues sont corporatistes : dans une rue, les magasins (qui se touchent) ne vendent que des lunettes, plus loin, ce sont des articles pour touristes, ailleurs des aliments en conserve, des tapis... mais tous regorgent de produits.

Cette première promenade dans la ville est très décevante :

l bruit assourdissant ; tous les motards bloquent leur klaxon dès qu'ils aperçoivent quelqu'un (piéton ou autre) pour lui signaler leur présence car la seule règle de conduite, c'est que c'est le plus bruyant qui a la priorité (heureusement, il y a très peu de voitures),

l énormément de poussière,

l aucune unité architecturale dans les maisons ; à croire que plus ils font des trucs biscornus et laids, plus ils en sont fiers. Plus tard, j'apprendrai que les impôts sont proportionnels à la longueur de la facade sur la rue, mais pas à la profondeur de la maison (la hauteur est imposée) et qu'il suffit d'en faire la demande pour obtenir le permis de construire),

l et toujours ces rues pleines de gens ; on mange, on boit, on vend, on achète, on vit sur le trottoir...

Mais elle m'a permis de repérer le Crédit Lyonnais et de faire une première intrusion dans un hôpital ; vue l'absence de matériel médical et de médicament, je me demande ce que les gens viennent y faire ! Attendre la mort, peut-être ? J'espère que la maternité de l'hôpital BACH MAI me laissera une toute autre impression ! Quant à celle de cet hôpital VIET DUC, je n'ai pas réussi à la trouver.

Retour à l'hôtel où la chambre promise n'étant pas libre, je passe une seconde nuit à 30$. Le coup de téléphone d'Evelyne arrive à point pour me rechauffer le coeur. Avec la Suissesse, je vais manger une "soupe" (mélange de pâtes de riz, de légumes et de morceaux de poulet) sur le trottoir ; ce sera mon premier repas vietnamien. Ce n'est pas trop désagréable au goût, mais le fond du bol est imbuvable tellement il y a de piment et de poivre.

Lundi 29 novembre 1993

Dès le matin, on me change de chambre ; je me retrouve au cinquième étage... sans ascenseur et sans pression suffisante pour faire couler l'eau de la douche. Quant à la Suissesse, elle change carrément d'hôtel.

Je me rends à l'Ambassade de France ; j'y rencontre Mme Brévinion, adjoint au Consul et plus spécialement chargée de s'occuper des dossiers des Français adoptants. Elle me remet une attestation stipulant que, au regard de mon dossier, je suis autorisé à effectuer une adoption au Viet-Nam.

Je cours à l'autre bout de la ville pour faire légaliser ce papier par le Ministère des Affaires Etrangères, puis je la traverse dans l'autre sens pour le faire traduire chez le notaire. C'est ma première erreur ; j'ai perdu trop de temps en marchant, j'aurai dû prendre un cyclo-pousse car j'arrive trop tard (à 16h, il ferme). Il faut que je revienne demain (heureusement, il est à 30 mètres de l'hôtel).

Je rentre à l'hôtel, rédige un courrier pour Evelyne et le lui envoie par fax croyant économiser sur le téléphone. Seconde erreur (il y en aura bien d'autres) : il y a beaucoup trop de lignes écrites et il met un temps fou à passer ; il m'en coûtera 40$.

La petite Suissesse vient me chercher pour aller manger dans un bon restaurant avec un groupe de clients de l'autre hôtel. En passant, nous prenons un Allemand avec qui nous avions sympathisé hier soir. Nous formons un groupe très cosmopolite : Un Allemand, deux Suédois, une Vietnamiene, une Suissesse et un Français ! Tout le monde parle en anglais, sauf la Suissesse et l'Allemand qui mélangent allègrement l'anglais et l'allemand ce qui rend leur conversation incompréhensible et fait rire tout le monde.

Mardi 30 novembre 1993

7h30 : Pendant la nuit, l'hôtel a reçu un fax d'Evelyne me signalant qu'elle a bien reçu le mien et me donnant des nouvelles qui me remontent un peu le moral.

8h : Je dépose mon papier chez le notaire ; comme il ne sera prêt que vers 10h, j'en profite pour visiter les rues alentour qui regorgent de vètements. En revenant à l'hôtel, la réceptionniste me remet un autre fax qu'Evelyne vient d'envoyer.

10h30 : J'arrive avec mon attestation traduite chez Mme HA qui me reçoit avec un grand sourire. Elle a bien reçu le dossier. Je soupire de soulagement et ça la fait rire : "Faut pas vous inquiéter comme ça, nous sommes là pour vous aider" me dit-elle. Elle me confirme que son service n'a pas de nourrisson à donner actuellement et que je dois faire mon "shopping" moi même car eux n'en ont pas le temps. Elle ne me donne aucun papier m'autorisant à effectuer les recherches ; je trouve ça bizarre.

11h00 : Le cyclo-pousse me dépose devant l'hôpital BACH MAI. Après seulement 5 minutes de recherche (?), je me retrouve dans la maternité. C'est le spectacle le plus effroyable que je verrai durant tout le séjour au Viet-Nam : Dans un lit en 90 de large, il y a jusqu'à 3 femmes sur le point d'accoucher ou ayant accouché (2 en tête et la troisième au bas du lit, les jambes coincées entre les deux premières), les draps sont très-très sales, maculés de tâches de sang ; ça pue, j'ai la nausée !

Le chef de ce service, le Docteur KY, me fait entrer dans son bureau et c'est plein d'espoirs que je lui remets un dossier similaire à ceux arrivés chez Mme HA, dossier que nous avions constitué en prévision des démarches dans les hôpitaux. Il le feuillette à toute vitesse une première fois, puis une seconde, sans même s'attarder sur une seule pièce (sauf l'attestation de stérélité). Visiblement, il aurai aimé trouvé quelque chose qui n'y est pas ! C'est peut-être les photocopies de nos salaires que j'ai précautionneusement enlevées estimant que les autorités médicales n'avaient pas à connaître cet aspect de notre couple.

Tout en buvant du thé, nous bavardons sur les raisons qui peuvent pousser un couple à ce genre de démarche, mais il ne me donne guère d'espoir car il est déjà fortement sollicité par des associations et il leur donne la priorité. Il me glisse quand même de lui laisser mon numéro de téléphone car il veut bien mettre mon nom sur sa liste (en douzième position toutefois). Plusieurs jours après, j'apprendrai que ce fameux Docteur KY est un des plus corrompu de Hanoï et qu'il ne commence à chercher un enfant que si on lui fait un don de 200$. Et dire que je n'ai pas cessé durant tout l'entretien de lui répéter que je n'étais pas là pour acheter un enfant mais pour faire un acte d'amour !

14h00 : Le cyclo-pousse me dépose devant l'hôpital VIET DUC. Après une bonne demi-heure de recherche, un homme en blouse blanche me montre que la maternité est de l'autre côté de la rue.

Pendant plus d'une heure, je vais chercher à nouveau dans cette partie de l'hôpital. Enfin, quelqu'un me guide jusqu'au bureau du chef du service obstétrical et gynécologique... que je ne verrai jamais car il est en congrés actuellement avec des médecins français. Sa "secrétaire", bien que ne parlant ni anglais ni français, arrive à me le faire comprendre (en me montrant son carton d'invitation) et m'invite à retourner à l'administration.

16h00 : Je suis devant le bureau du directeur. Un Vietnamien, qui n'a pas l'air de travailler dans cet hôpital, me demande, dans un français impeccable, s'il peut m'aider. Je lui expose rapidement les raisons de ma présence. C'est un pharmacien dont la femme est actuellement hospitalisée ici ; après lui avoir rendu une petite visite, il venait dire bonjour au directeur qui est un ami d'enfance. Il me promet de lui demander de m'accorder un petit entretien. Promesse tenue car le directeur - qui est une femme - après l'avoir raccompagné,

me fait signe d'entrer.

L'entrevue sera très brêve. Elle regarde le dossier, surtout la partie médicale et me lance froidement "Je ne peux rien pour vous. Voyez avec le Docteur machin, c'est lui le responsable du service obstétrical et gynécologique"...

... et un après-midi de perdu à tourner en rond.

Je retourne à l'hôtel, je reçois l'appel d'Evelyne dans ma chambre et je la préviens de se méfier du fax, ça peut être très onéreux. Je me couche sans même manger (ce qui me fait sauter les 2 repas de la journée), le moral bien bas !

Mercredi 1 décembre 1993

8h00 : Je prends un cyclo-pousse et je montre à son conducteur l'hôpital OLOP PALME. Après pas mal de tâtonnements (il s'est trompé dans son parcours et on s'est retrouvé devant l'hôpital BACH MAI !), il me dépose devant le portail de cet hôpital que les Suédois ont offert aux Vietnamiens. Je lui règle le prix convenu au départ, mais ça ne lui convient pas car il estime que sa course mérite beaucoup plus. En lui montrant sur le plan la balade qu'il m'a fait faire par ses erreurs (je lisais sur le plan le nom des rues au fur et à mesure que nous les empruntions), j'essaye de lui faire comprendre que si ça a été si long, il n'a qu'à s'en prendre à lui même. Mes explications ne lui suffisent pas et le ton monte. Une Vietnamienne qui passait par là m'arrache avec fermeté au groupe qui venait de se former et me fait rentrer de force dans l'hôpital.

Elle m'explique que tous ces conducteurs de cyclo-pousse ne savent pas lire un plan et qu'il faut leur donner uniquement l'adresse du point de chute. Elle parle un très bon français et j'en profite pour lui donner les raisons de ma visite tout en marchant. Je ne sais pas où l'on va car elle n'a toujours pas dit le moindre mot ni sur elle ni sur cet hôpital ! Je lui demande s'il est possible que je rencontre soit le directeur, soit le chef du service obstétrical et gynécologique. Elle me répond de la suivre.

Nous arrivons effectivement dans la maternité ; elle a l'air très bien tenue, les chambres ne ressemblent plus à des baraquements et, oh surprise, je vois passer une infirmière poussant un charriot rempli de draps propres et bien pliés. Nous montons un étage, traversons un long couloir et arrivons devant un bureau ouvert où un homme travaille avec application. Elle lui adresse la parole en vietnamien, il lui répond sans même relever la tête de ses dossiers. Elle fait demi tour en m'enjoignant de la suivre.

Nous redescendons au rez-de-chaussée, elle enfile une blouse blanche et me fait entrer dans un bureau vide. Là, elle m'explique que l'homme que l'on vient de "rencontrer" est le responsable de la maternité "Il est un peu rustre mais incontournable pour le problème qui vous préoccupe ; sinon, il fait très bien son travail." Elle poursuit en se présentant : Elle s'appelle HIEN et est docteur dans ce service "Il n'y a pas actuellement d'enfant à adopter ici," me dit-elle, "mais j'ai peut être la possibilité de vous en trouver d'ici peu. Vous êtes le second sur ma liste. Laissez moi vos coordonnées, s'il vous plaît.". Mon espoir remonte. Nous discutons longuement ensemble, je lui fais part de mon point de vue : adoption = amour... et non argent. Avant de nous quitter, elle me donne sa carte de visite avec un petit mot en vietnamien pour un de ses confrères qui travaille à l'hôpital PHU SAN.

10h30 : J'arrive à l'hôpital PHU SAN (qui est juste à côté de OLOP PALME) et je trouve rapidement la maternité ; elle est semblable en tout point à celle de BACH MAI... mais il n'y a qu'une seule femme par lit (certains sont même vides) et ça ne pue pas le sang et la crasse ! Un homme en blouse blanche me dit de ne pas rester là ; je lui montre la carte de visite du Docteur HIEN. Il m'entraine dans une autre aile du bâtiment, me fait entrer dans un bureau... et en ressort en me priant d'attendre ici. Quelques minutes plus tard, un autre entre et se présente comme le chef de la maternité. Il ne parle pas un mot de français ; je lui donne la carte, il la lit tout en esquissant un sourire. Je lui tends le dossier, il le feuillette très superficiellement et me dit que son service ne travaille qu'avec les associations. Il ponctue sa phrase d'un "Au revoir" bien français, se lève et me raccompagne jusqu'à la porte.

Ce n'est pas ici que je trouverai mon bonheur ! Je prends un cyclo-pousse et je rentre à l'hôtel.

14h30 : Je suis les conseils d'Evelyne : je me rends chez Mr et Mme PHAN ; ce sont des personnes dont on m'a donné les coordonnées en France. Je fais ainsi connaissance d'une vieille dame admirable parlant merveilleusement bien le français. Je lui raconte toute mon histoire : Pourquoi je suis là, mes déboires avec les hôtels, mes contacts pas très encourageants avec les hôpitaux, l'éloignement de l'hôtel des Ministères...

Immédiatement, elle m'entraine dans un hôtel juste au coin de la rue, leur demande s'ils ont une chambre pour moi et se retourne triomphante. "Si vous voulez, ici, ils peuvent vous loger ; c'est beaucoup moins cher et il y a quelqu'un qui parle français". Je demande à voir une chambre. On m'en montre une qui débouche juste dans le hall de l'hôtel, elle est correcte, sans plus, mais elle est à 12$. Je la réserve sur le champ, trop content de payer un peu moins et de pouvoir enfin parler français ; dans l'autre hôtel, non seulement personne ne parlait français, mais la seule personne qui parlait anglais avait un tel accent que ses propos étaient incompréhensibles (ce fut souvent le cas au Viet-Nam).

Je retourne à l'hôtel THIEN HUONG, leur demande de faire ma note et c'est sans regret que je les quitte. Je leur laisse tout de même la somme de 155$. J'espère que la suite du séjour sera plus économique !

Mon nouvel hôtel s'appelle BAO KHANH ; ma nouvelle chambre est loin d'être paradisiaque car le hall est très bruyant. Enfin, on verra ce soir. Pour l'instant, je vais à la Poste pour prévenir Evelyne de ce changement et lui donner les dernières nouvelles.

En rentrant, je m'arrête à nouveau chez les PHAN. Cette fois, c'est HONG, leur fils, qui me reçoit, mais sa mère et son père ne tardent pas à nous rejoindre. Nous bavardons très longtemps d'un peu de tout. Cette première journée en leur compagnie est tout à fait charmante, ce sont bien des personnes exceptionnelles, exactement comme nous les avait décrit Mme NICOLAS en France. Ils vont de suite se mettre à la recherche d'un bébé pour moi, me promettent-ils.

Toute la rue de l'hôtel est pleine de gens qui mangent ou qui boivent sur le trottoir et c'est sans peine que je trouve un petit "restaurant" où je dévore un riz cantonnais recouvert d'une omelette. Enfin un bon repas qui ne me laisse pas sur ma faim. Je rentre dans ma chambre avec le moral bien remonté... mais mes prévisions de la journée se révèlent exactes : il est impossible d'y dormir tellement il y a du bruit dans le hall. Ce n'est que vers minuit que je trouve enfin le sommeil.

Jeudi 2 décembre 1993

8h30 : Je demande à changer de chambre aujourd'hui même. La réceptionniste me répond - par l'intermédiaire d'un jeune qui parle bien le français - que, aujourd'hui, ce n'est pas possible, mais demain, c'est promis.

9h00 : Je décide d'aller voir le Ministère de la Justice, histoire de faire connaissance avec tous les interlocuteurs potentiels que je pourrai avoir dès que l'enfant sera trouvé. Je suis reçu par Mlle PHUONG. Elle parle français et me tient le même discours que Mme HA (son service est trop occupé, pas le temps de chercher pour vous).

10h00 : Je retourne à VIET DUC, bien décidé à parler avec quelqu'un, car, d'après mes informations, c'est l'hôpital qui a le plus de possibilité quant aux chances d'y trouver un bébé. Le bureau du chef de la maternité étant toujours occupé par sa seule secrétaire, je pars donc visiter la maternité (elle est située un étage au-dessus) ; peut-être que quelqu'un pourra m'y renseigner.

Arrivé en haut de l'escalier, je me retrouve devant une grille barrant jusqu'au plafond l'entrée au service... mais par chance, elle est ouverte (elle ressemble à ces grilles de prison que l'on voit dans les westerns !). Je pénètre avec une certaine appréhension dans cet univers "carcéral" ; les lits sont tous occupés par une, voire deux femmes, mais cette maternité ne ressemble pas à celle de BACH MAI ou à celle de PHU SAN car il y a de vraies chambres et non pas un immense hall rempli de lits. Les draps y sont pourtant toujours aussi sales. C'est une vraie ruche et je m'y sens terriblement inopportun. Le personnel passe sans arrêt près de moi, mais personne ne m'adresse pas même un regard, trop absorbé par son travail. Je ne m'attarde pas d'avantage et je regagne l'hôtel.

Dans le hall, deux des employées et le jeune qui sert d'intreprète sont en train de jouer aux cartes. Je m'arrête un instant et je les regarde sans parler, essayant de comprendre à quel jeu ils peuvent bien s'adonner. Ma mémoire fait des efforts car cela me rappelle quelque chose, mais je n'arrive pas à donner un nom à ce que je vois... et pourtant, je connais ! Et d'un coup, les souvenirs affluent ; je me revois dans un appartement parisien en train de jouer avec mon beau-frère : le djinn. Le mot est lâché, les 3 joueurs me regardent, étonnés. J'explique à l'interprète qu'ils sont en train de faire une partie de djinn ; ils éclatent de rire et répètent "DJINN" 3 ou 4 fois... tout en reprenant leur partie.

Je leur parle un peu de l'état de mes recherches, de ma désillusion, de mon angoisse face aux très mauvais résultats obtenus jusqu'à maintenant, puis je rentre dans ma chambre. Quelques minutes plus tard, quelqu'un frappe à ma porte : c'est le jeune interprète ; pendant la discussion de tout à l'heure, il m'a dit qu'il était étudiant en anglais, qu'il avait appris le français à l'armée et qu'il rendait ce petit service à l'hôtel moyennant quelques menus avantages. Il vient simplement pour discuter encore un peu ; je lui parle de la France - il espère très fort pouvoir venir travailler un jour chez nous - et j'essaye de lui montrer, sans le décevoir, que notre pays n'accorde plus la moindre chance aux étrangers...

Après avoir mangé quelques gâteaux secs, je repars pour VIET DUC. Je ne sais pas pourquoi, mais cet hôpital m'attire car je pense qu'il y a beaucoup de chance pour y trouver un bébé ; or, je n'ai toujours pas réussi à rencontrer le chef de la maternité. Je vais donc m'installer pour l'aprés-midi à côté de son bureau... et l'y attendre.

16h00 : Je décide que mon attente a assez durée et je pars pour hôpital 108. Je traverse la vieille ville, un peu anxieux car le jeune étudiant me l'a présenté comme étant l'hôpital militaire et je me demande s'ils me laisseront entrer. Une demi-heure plus tard, je suis devant cet imposant hôpital. Surprise ! Seuls quelques "vigiles" en gardent l'entrée et c'est sans problème que je pénètre à l'intérieur.

Cet hôpital est une suite impressionnante de bâtiments parallèles à 3 étages, tous à cheval sur un immense tunnel. On se croirait dans un garage pour gigantesques camions ! De chaques côtés partent régulièrement les escaliers d'accès. Tous sont peints d'un gris triste. Comme ils ne sont pas plus propres que le reste d'Hanoï, j'ai un petit frisson qui me traverse le dos pendant que je les monte. Je n'ai pas peur, non ! J'ai seulement le sentiment de pénétrer dans un univers bien étrange.

Le premier étage du bloc A me semble désert. J'erre pendant quelques temps dans des couloirs que personne ne fréquente et où les portes pleines ne me permettent pas de voir ce qui se passe derrière. Je me décide à frapper à l'une d'entre elles ; comme je n'entends aucune réaction, je l'ouvre avec milles précautions... la pièce est vide ! Affreusement vide ! Pas même une chaise ! Seule une épaisse couche de poussière recouvre le sol sans la moindre trace de pas ! Cela doit faire des années que personne n'est entré là-dedans ?

Je monte au second étage par l'escalier intérieur ; tout aussi vide... mais j'entends des bruits à l'étage supèrieur. J'y monte aussitôt. Arrivé en haut de l'escalier, j'aperçois en face de moi 3 "infirmières" assises devant une grande table nue. Je leur demande si l'une d'entre elles parle le français ou l'anglais ? Personne ! Je leur donne à lire mon dossier vietnamien. Une me fait signe alors de partir sur ma gauche, semblant m'indiquer un possible interlocuteur dans cette direction.

En effet, cet étage est occupé... par des bureaux. Je trouve enfin quelqu'un qui parle anglais. Après les palabres habituels, il me demande de le suivre. Nous sortons sur un balcon qui fait toute la longueur du bloc et qui communique au bloc B par 2 passerelles. Mais à ma grande surprise, nous reprenons un escalier intérieur et redescendons d'un étage. Il m'entraine dans la partie droite du bloc (je n'avais visité que la partie gauche) qui est occupée elle aussi de bureaux. Il dialogue un instant avec une "secrétaire" puis m'explique qu'il est un peu trop tard et que je dois revenir demain.

Je quitte cet hôpital avec l'étrange impression qu'il est totalement désert... et que je n'ai rien à gagner à y revenir ! Je regagne l'hôtel puis je termine cette longue journée par un nouveau riz cantonnais au bout de la rue. L'hôtel est toujours aussi bruyant, il est impossible de dormir avant minuit et quelques...

Vendredi 3 décembre 1993

Je me lève de bonne heure, réveillé par les voix des clients matinaux. Dès que le jeune interprète arrive, je lui fais part de ma volonté de changer de chambre aujourd'hui comme convenu. Il revient attristé car le client qui devait partir ce jour reste quelques jours de plus. La direction lui a promis que, demain, il n'y aurait aucun problème, j'aurai droit à une autre chambre. J'espère que ce sera vrai parce que je vois mal Evelyne vivre dans cette chambre. Si ce n'était pas le cas, je serai obligé de changer d'hôtel.

J'appelle le Docteur Ky à l'hôpital de BACH MAI pour lui signaler ma nouvelle adresse. Il en prend note mais n'a toujours pas de bébé pour moi. Idem pour le Docteur HIEN à OLOP PALME. Je demande au jeune interprète - qui s'appelle TUAN - s'il peut m'accompagner à VIET DUC pour m'aider dans mes recherches. Il accepte... et ça à l'air de lui faire extrêmement plaisir.

C'est en vélo que nous y allons et, à peine arrivé, il interpelle une blouse blanche pour savoir où est le responsable de la maternité. On nous guide jusqu'à son bureau qui est toujours aussi vide ! TUAN dialogue quand même avec sa secrétaire... en plein travail de tricot ! Elle nous conseille de s'adresser au service administratif car son chef est actuellement en mission pour plusieurs jours (il est vrai que la veille a été diffusé à la télévision vietnamienne un reportage sur un groupe de médecins français venus pendant 15 jours effectuer un travail de recensement des besoins en matériel et en formation des hôpitaux de Hanoï).

J'explique à TUAN que, ayant déjà rencontré la directrice de cet hôpital et vu l'accueil qu'elle m'a réservé, ce n'est vraiment pas la peine de chercher à la voir une seconde fois. Je lui propose de regagner l'hôtel. Lorsque nous récupérons les vélos, je suis obligé de me fâcher pour lui faire admettre que c'est moi qui paye le parking à vélo et non pas lui ! De retour à l'hôtel, nous bavardons quelques temps, puis une des employées vient nous rejoindre et m'invite à jouer aux cartes avec eux. J'accepte volontier, cela me fera oublier un peu mes désillusions.

13h30 : Je retourne à l'hôpital 108 et je vais directement aux bureaux où j'avais fini ma journée hier. La secrétaire me fait signe de rentrer dans un bureau... mais il est vide. Par contre, j'entends des voix qui sortent d'un bureau situé juste en face. La porte étant ouverte, je m'y glisse. Ce n'est pas un bureau, mais une salle de réunion où 2 messieurs assez âgés, assis l'un à côté de l'autre devant une grande table, bavardent en buvant du thé. J'attends patiemment sur le pas de la porte que l'un des deux veuille bien m'adresser la parole.

C'est le plus âgé qui le fera - en français ! - pendant que l'autre se lève et s'en va. Je lui explique la raison de ma présence en lui tendant le dossier. Il le lit calmement, me pose quelques questions sur nos tentatives de FIV et puis, rapidement, me demande de lui parler de l'organisation de la médecine en France. Visiblement, cet hôpital ne bénificie pas de la même "générosité" française que les autres. Pendant plus de 2 heures, nous allons ainsi bavarder de tout. Il me dira quand même que son hôpital (c'est le directeur) n'a que très rarement des nourrissons abandonnés ; seul un couple d'Américains est venu cet été pour en adopter un. Il me conseille de le contacter régulièrement, mais surtout d'aller visiter sa maternité et de leur demander, si jamais il y avait un bébé adoptable dans les jours suivants, de me prévenir pour que je puisse en bénéficier. Mais il me renouvelle sa mise en garde : "C'est très exceptionnel que des mères viennent accoucher ici puis abandonnent leur nouveau-né !"

Je sors de son bureau persuadé que notre cas lui a sérieusement plu ! Mais c'est en vain que je chercherai la maternité. Comme l'heure de la fermeture (16h) est passée, je rentre à l'hôtel.

J'espère que je vais pouvoir dormir correctement !

Samedi 4 décembre 1993

Finalement, la nuit s'est bien passée, il n'y a pratiquement pas eu de bruit... mais je change quand même de chambre. Elle est au deuxième étage et est autrement plus agréable que l'ancienne : Beaucoup plus de lumière (il y a une grande fenêtre, l'autre n'en avait pas), des interrupteurs électriques en bon état, une porte sans regard, pas de moustique ni de cafard, un balcon... seuls les sanitaires sont toujours aussi peu accueillants. D'après TUAN, ils me la font au même prix.

Je retourne voir Mme HA dès fois qu'elle aurait un bébé pour moi. Elle me conseille, vu le nombre de personnes qui cherchent actuellement sur Hanoï, d'essayer la province. Même démarche à la Justice. Elle me donne les adresses des maternités de quartier et les coordonnées d'un couple qui vient de trouver un nourrisson.

Je me rends sur le champ à leur hôtel, espérant tirer quelques profits de leur expérience. Arrivé à l'accueil, je demande s'il est possible de les voir. L'hôtelier compose le numéro de leur chambre et me les passe : ils ne veulent absolument pas me recevoir ! Je leur demande quand même depuis combien de temps ils sont à Hanoï et comment ils ont trouvé l'enfant : Par eux-même ? Une association ? Une tierce personne ? La dame me répond qu'ils l'ont eu par une tierce personne qui est en train de créer une association dont la raison sociale sera d'aider de manière intensive (?) les couples de Français voulant adopter au Viet-Nam ! Je lui demande le nom de cette personne ou de son association ? Elle me répond qu'elle ne peut rien me dire parce qu'ils ont déjà eu trop d'ennuis, que cette personne ne veut pas que l'on parle d'elle tant que son association n'est pas réellement créée... Je trouve cela bien étrange, mais je n'ai pas la possibilité d'en savoir plus car on vient de me raccrocher au nez ! ... ?

Je rentre à l'hôtel en grignotant (comme tous les autres jours) et je demande à Tuan de me servir d'interprète car je veux visiter les maternités.

Nous en ferons 3. Elles sont toutes rigoureusement identiques : Pratiquement impossibles à trouver (aucune indication extérieure), des femmes qui papotent assises à ne rien faire ou à tricoter, des lits vides sans drap ni matelas, même pas une trace de compresse ou de mercurochrome... Je comprends pourquoi les maternités des hôpitaux sont si pleines ! Il est évident qu'il vaut mieux aller dans un hôpital surchargé mais offrant une certaine sécurité médicale que d'accoucher dans des endroits aussi indigents !

En rentrant à l'hôtel, je fais un saut chez HONG pour lui présenter TUAN ; j'y apprends qu'ils ont commencé à chercher tout autour d'eux un bébé pour moi... Comme ils ont énormément de relations, le résultat ne devrait pas se faire trop attendre ! Ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'au début de nos entretiens, ils m'avaient dit et répété qu'ils ne voulaient absolument pas se lancer là dedans ?

Je prends rendez-vous avec TUAN pour que, demain, il me fasse visiter un peu Hanoï ; puis je m'offre, sans même regarder la carte, un nouveau riz cantonnais. Ma nouvelle chambre est parfaite, juste un peu trop de lumière qui rentre par la fenêtre. J'accroche à la tringle à rideaux les draps de bain et je m'endors aussitôt.

Dimanche 5 décembre 1993

C'est sous un ciel gris que, de bon matin, nous enfourchons nos vélos. La visite commence par le mausolée HO CHI MINH. Il est situé en plein milieu d'un vaste quartier bâti uniquement de monuments ou de palais à la gloire de quelque chose (le peuple, l'armée, les députés, l'amitié vietnamo-russe, l'oncle HO...) et quadrillé par d'immenses avenues. Il faut voir cette multitude de Vietnamiens qui attendent sagement de pouvoir pénétrer dans ce tombeau où la momie de cet homme - devenu un Dieu car il a donné au Viet-Nam les plus belles pages de son histoire - trône au milieu de militaires paradant dans leur plus belle tenue.

La longue file silencieuse s'étire à l'extérieur sur un seul rang et sur plusieurs centaines de mètres. Et ce n'est pas la petite faveur accordée aux touristes qui fera s'élever le moindre murmure chez ces gens profondément reconnaissants... jusqu'à en être totalement aveugles. A peine sorti, je lâche à TUAN (qui m'a attendu dehors car les appareils photographiques y sont interdis) que la seule impression que m'a laissé la vision de ce vieillard "immortalisé" et de ses "fidèles" est que le jour où un mausolée sera érigé pour celui

qui trouvera LA solution au chomage, c'est l'humanité toute entière qui pourra se prosterner à ses pieds !

La visite - gratuite - de ce mausolée comprend aussi la visite de la maison où l'oncle HO a fini sa vie ; c'est une toute petite maison en bois verni, gardée par des militaires (baïonnette au canon), perdue dans un superbe et gigantesque parc : arbres centenaires, pièces d'eau somptueuses, pelouses impeccables, bonsaïs de rêve... on y trouve, entre autre, l'ancien palais du gouverneur du Tonkin.

La matinée se poursuivra par un détour dans un parc où se déroulent en permanence des combats de coqs. C'est vrai que ma passion de la pêche à la mouche et des belles plumes de coqs peut me mener à faire des folies... mais là, je fus servi : Tous leurs coqs sont complètement plumés de la tête aux pieds, on ne leur laisse que les plumes des ailes et de la queue ! Ils sont hideux (imaginez un vautour dont TOUT le corps serai nu... et rouge vineux !).

Nous finissons par le Fleuve Rouge, espérant y voir quelques uns de ses "habitants", mais ses eaux sont tellement chargées de limon (d'où son appelation de Fleuve Rouge) que mes yeux ne captèrent aucune trace de vie. Heureusement, durant notre promenade, j'avais

vu de magnifiques plans d'eau avec sauts de poissons, pêcheurs au filet ou à la canne...

De retour à l'hôtel, TUAN vient me chercher dans ma chambre : le patron m'invite à partager avec eux le repas de midi. On ne pouvait pas me faire plus grand honneur ! Je cours sur le champ dans la rue pour acheter quelques pommes afin de participer un peu aux frais.

L'après-midi commencera par la visite de la pagode de la tortue, autre lieu de pélerinage pour les Vietnamiens. Elle est située sur une île du lac HOA KIEM, en plein milieu de Hanoï (juste à côté de l'hôtel). Selon la légende, un roi du Viet-Nam en errance dans une forêt, au XIV siècle, aurai trouvé une épée illuminée. Grâce à cette épée, lui et son armée mirent en déroute les chinois (qui les annexaient depuis 10 siècles !). Lors d'une des nombreuses fêtes en l'honneur de cette mémorable victoire, tous se promenaient en barque sur le lac quand une tempète survint : l'épée quitta son fourreau protecteur et plongea dans le lac... pour reparaître aussitôt dans la gueule d'une énorme tortue. Le roi en déduit que l'heure de la paix avait sonné et fit ériger cette pagode.

Je finirai seul ma promenade car TUAN doit organiser un voyage pour 2 autres Français. D'ailleurs, c'est à partir de ce jour que je commencerai à lui expliquer que ce genre de petits boulots se paye, même au Viet-Nam. Il passait des journées entières à chercher des hôtels, à acheter des places de train ou d'avion, à louer des voitures, etc, pour des clients... sans prendre la moindre commission ! Rassurez-vous, il s'est rattrapé depuis.

En faisant ma visite quotidienne chez HONG, ils m'apprennent qu'ils viennent de trouver un tuteur qui a en garde une petite fille de 6 mois, mais comme je leur avais dit que je recherchais en priorité un garçon, ils ne sont pas venus me l'annoncer à l'hôtel. Je leur confirme ma préférence, mais je leur rappelle que si, à la fin de la semaine, je n'ai toujours rien, je prendrai - et Evelyne avec moi - une fille sans aucun problème ! Ils me proposent de prendre rendez-vous avec ce monsieur afin que l'on se rencontre.

Sitôt sorti, je cours téléphoner la bonne nouvelle à Evelyne qui est partie en week-end chez ses parents... puis je m'offre, toujours dans le même "restaurant", un crabe à la bière (7 fois le prix du riz cantonnais !). Je ne m'attendais pas du tout à ça en commandant... car leur carte est muette. Aussi, je suis obligé de retourner à l'hôtel pour prendre de l'argent afin de pouvoir payer (imaginez mes mimes pour faire comprendre à ces gens, qui ne parlaient ni anglais ni français, que je ne partais pas sans payer !!!).

Lundi 6 décembre 1993

Dès que TUAN arrive (il va tous les soirs dormir chez ses parents), je "l'embauche" pour qu'il démarche en mon nom les hôpitaux de province.

Technique :

1. Rechercher sur la carte les villes importantes autour de Hanoï dans un périmètre donné (au début, 50 km),

2. appeler les renseignements pour avoir les numéros de téléphone de tous les hôpitaux des dites villes,

3. faire tous ses numéros un par un et demander le numéro de la maternité et celui du directeur (les renseignements ne connaîssent que celui du standard),

4. appeler le directeur et la maternité, leur présenter rapidement la raison de l'appel, leur demander s'il n'y aurait pas un nourisson adoptable et leur laisser nos coordonnées...

Travail fastidieux monopolisant le téléphone de l'hôtel, ce qui nous amène rapidement à "prospecter" à partir de la Poste centrale (balade inutile puisque une agence se trouve à côté de l'hôtel... mais TUAN ne la connaissait pas).

Retour à l'hôtel pour le repas de midi : Je suis de nouveau invité à le prendre avec eux.

Reprise des coups de téléphone aux hôpitaux de province, mais à partir de l'agence cette fois. Les réponses sont toutes les mêmes : RIEN !

Comme TUAN part en cours vers 17h tous les jours sauf le dimanche (il suit les cours du soir) et que j'ai envie de goûter toute la cuisine vietnamienne sans me ruiner (le crabe de hier était merveilleusement bon... mais un peu cher), je l'invite à repasser à l'hôtel après ses cours pour qu'on aille ensemble dîner dans ce "restaurant" (la carte est rédigée en mauvais anglais et n'a pas de prix affichés !).

Il m'explique les plats intéressants :

l Le crabe, c'est très bon mais un peu cher,

l les crevettes, bon et moyennement cher,

l le serpent, merveilleusement bon mais très-très cher,

l la tortue, inoubliable mais très-très cher,

l le chien, tout aussi remarquable mais introuvable,

...

Finalement, nous prendrons des nems soit-disant au crabe mais vraiment pas bons !!! Je suis très déçu, je voulais tant lui faire plaisir...

Mardi 7 décembre 1993

Reprise des coups de téléphone en province. Pendant que nous étions dans l'agence à appeler, un des directeurs contactés hier a laissé un message à l'hôtel. TUAN le rappelle aussitôt. Il a un nourisson de sexe masculin... mais c'est 3000$ ! (?) Et il veut une réponse de suite ! Je dis à TUAN que je refuse de marcher dans ce trafic et je l'enjoins de ne pas donner de suite.

Je suis toujours aussi chaleureusement invité à me joindre à eux pour le repas de midi. J'essaye de leur faire comprendre que je tiens à participer aux frais en apportant des fruits (bananes, poires, pommes et même papayes).

L'après-midi, je me rends seul à PHU SAN. Le chef de la maternité est toujours aussi invisible et je ne m'y attarde pas. Je vais chez HONG pour avoir un peu plus d'informations sur ce tuteur avant de le voir tout à l'heure. Ces parents m'annoncent qu'ils ne savent pas grand chose sur lui, mais par contre, ils viennent de trouver en province une autre

petite fille de seulement 2 mois.

Je rentre à l'hôtel, TUAN m'y attend tout exité car le directeur de l'hôpital a rappelé 2 fois pour avoir la réponse. Je maintiens mes directives : on ne rentre pas dans ce jeu, donc on ne rappelle pas !

Je vais à mon rendez-vous chez HONG. La discussion avec le tuteur sera très courtoise ; je lui explique mes motivations, il en prend note et attend sagement la semaine prochaine pour me montrer sa petite fille (admirable d'après les parents de HONG qui, eux, l'ont vue) si je n'ai pas réussi à trouver un garçon d'ici-là.

Je retourne à l'hôtel où la sous-directrice m'attend avec une soupe (il n'y a qu'à traverser la rue pour commander... et on vient nous servir dans l'hôtel même). Elle mange presque tous les soirs ici, bien souvent seule. TUAN lui a certainement suggéré cette délicate attention... ce qu'il va me confirmer sur le champ, car, sitôt sorti de son cours, il vient à l'hôtel pour connaître mes impressions sur le tuteur. Pendant qu'il dévore une soupe (il est maigre comme un clou mais son ventre a toujours faim !), je lui dis que ce monsieur a bien voulu me garder sa fille jusqu'à la semaine prochaine au cas où je ne trouverais pas de garçon. Je lui annonce également que HONG m'a trouvé une seconde fille, plus jeune et en province. Il est heureux comme tout... mais me promet de faire mieux : il me trouvera un garçon !!!

Mercredi 8 décembre 1993

TUAN continue ses coups de téléphone. Je lui propose, pour changer un peu, de se rendre à l'hôpital 108 puisque le directeur m'avait demandé de visiter sa maternité et que je ne l'avais pas trouvé. Comme toujours, il accepte avec empressement (tous les jours, au Viet-Nam, je prendrai une leçon de chaleur humaine... ).

C'est avec difficulté que nous la trouverons tellement elle est perdue au milieu de vieux bâtiments. Heureusement qu'il était là, à questionner sans cesse toutes les blouses blanches rencontrées ! Nous sommes finalement accueillis par la responsable de la maternité (Obstetrical and Gynecology Department). L'entrevue sera très amicale, bien que TUAN et elle discutent souvent en vietnamien: Elle ne s'engage pas d'avantage que son directeur, à savoir que c'est très-très rare que son service ait sur les bras un nouveau-né abandonné... mais elle prend tout de même nos coordonnées.

Retour à l'hôtel. Vers la fin du repas, la mère de HONG vient me rendre visite : elle a trouvé un garçon ! Je la suis immédiatement (il paraît que le sourire que j'affectais à ce moment là était quelque chose à voir !). A peine arrivé chez eux, elle me présente un couple de Français qui ont trouvé dans un hôpital de Hanoï un petit garçon... Or, ils sont venus chercher une fille. Ils me proposent donc de faire un "échange". J'accepte immédiatement et nous nous donnons rendez-vous à 14h à leur hôtel pour commencer les démarches.

Ils sont tous deux docteurs et désirent adopter 2 petites filles. Ils sont à la tête d'une association médicale qui offre du matériel et des stages dans les hôpitaux français à un certain nombre de pays du tiers-monde. Ils avaient de nombreuses (?) nouveau-nées de réservées lorsqu'ils sont partis de France, mais à Saïgon (Ho Chi Minh Ville). Oui, mais Monsieur n'a pas pu supporter le bruit et la pollution de cette ville extravagante ! Alors, ils sont remontés sur Hanoï où ils n'étaient pas "attendus", donc pas de petites filles de réservées ; seulement ce garçon (qui est un petit prématuré tellement chétif que pour rien au monde Monsieur n'en voudrait !) à l'hôpital de St Paul.

Ils téléphonent à un de leurs contacts dans cet hôpital pour prendre rendez-vous car il est nécessaire, comme l'enfant leur était fermement réservé, que ce soit eux qui me le "donnent", sinon l'hôpital continuera à le leur garder. Le rendez-vous est fixé à 16h.

En attendant l'heure, nous bavardons tout l'après-midi. Lorsque nous arrivons à l'hôpital, ils me présentent à leur contact (le responsable du département cardiologie) qui ne peut malheureusement pas nous accompagner jusqu'à l'enfant. Elle (c'est une femme) demande à une de ses collaboratrices de le faire à sa place. Ils nous faut être présentés à la responsable de la materniné... qui est absente. C'est sa seconde que l'on verra, tout en buvant l'incontournable thé. Je rappelle à ce monsieur que j'aimerai bien voir cet enfant, donc il serai bon, vu l'heure, de ne pas trop s'attarder en conversations inutiles (seules les trois femmes parlaient... et surtout de projet de stages en France).

Finalement, elle nous amène voir le bébé. Il a été sorti de la couveuse et ne présente pas de maladie grave... mais c'est vrai qu'il est laid : Très maigre, avec des plis de peau juste au-dessus des genous, les bras emprisonnés par des langes qui tombaient en lambeaux... en plus, comme tous les nouveau-nés, son visage n'est pas très joli-joli ! Je le prends quand même en photo, puis dans mes bras ; re-photo. Le couple français m'encourage timidement en me signalant qu'une fois en ma possession, je pourrai le gaver à loisir ; alors qu'ici, ils n'ont pas grand chose à lui offrir... mais, pour eux, ça reste une petite "crevette" pouvant poser de nombreux problèmes. Comme Evelyne ne pourra jamais admettre que j'ai refusé un bébé parce que je le trouvais laid, je l'accepte en me disant que le temps dira si c'est une erreur ou pas !

On me donne rendez-vous demain matin en me certifiant que je pourrai le prendre et que l'on pourra commencer les démarches. Je rentre à l'hôtel et téléphone la nouvelle immédiatement à Evelyne... qui est en train de faire ses valises pour venir me rejoindre.

TUAN m'ayant promis de me faire découvrir les bons petits restos de Hanoï (les nems de l'autre soir l'ont marqué lui aussi), c'est le coeur gai que je l'attends. Nous allons traverser presque toute la ville sur la moto du gardien de l'hôtel. Comme dans beaucoup de bouis-bouis de Hanoï, c'est sur le trottoir que nous mangerons... mais quel repas : salade verte avec morceaux de coeur, puis tranches de foie et petits légumes accompagnés d'une sauce inconnue mais ô combien savoureuse. Même la bière "pression" passe là-dessus de manière remarquable. Pendant que l'on mangeait, 3 hommes sont venus s'asseoir derrière nous. Ils parlaient très fort, riaient beaucoup, de nombreuses autres personnes sont venues les saluer... TUAN me glisse dans l'oreille que, d'après ce qu'il a entendu, deux sont sortis aujourd'hui de prison ! Nous ne nous éterniserons pas ici...

Jeudi 9 décembre 1993

Vers 9h, je me rends avec TUAN à l'hôpital St Paul. Nous n'aurons même pas à rentrer dans la maternité car, dans la cour principale, nous croisons une des 2 personnes que j'ai rencontrées hier. Elle nous demande de les attendre, elle et la responsable de la maternité, dehors. Quelques minutes plus tard, elles arrivent en grande discussion. A peine à notre hauteur, la responsable de la maternité me lance :

"Il est malade, vous ne pouvez pas le prendre !"

"Malade ?" lui rétorquais-je "Mais hier, vous m'avez dit qu'il était en parfaite santé ! Ce qui m'a été confirmé par le couple qui m'accompagnait. Mais de quoi souffre-t'il donc ?"

"De diarrhées, Monsieur. Vous ne pouvez pas le prendre avant plusieurs semaines."

"Mais une diarrhée n'est pas une maladie, ce n'est qu'un état pathologique dû à autre chose. Généralement, elle se soigne en 2 ou 3 jours et ce n'est que passé ce laps de temps que l'on peut s'inquiéter ?"

Sur ce, les voila de nouveau qui nous demandent de les attendre là et qui partent 10 mètres plus loin pour s'entretenir en paix ! Pas longtemps ! Elles reviennent 30 secondes plus tard et lâchent :

"De toute façon, il n'est pas adoptable. Sa mère veut le garder !"

"Et vous ne le saviez pas hier ?"

"Non Monsieur !"

"C'est pour le moins étrange... Au-revoir Mesdames."

Je n'en crois pas un mot mais je venais de comprendre qu'il ne servirai à rien de discuter, seule la dame de hier (son mari devait repartir en France dans la matinée) pourrait arranger cette affaire, si elle pouvait s'arranger !

TUAN regagne l'hôtel ; quant à moi, je m'installe pour une longue attente devant la chambre de l'hôtel de cette dame. Je ne la verrai qu'à 12h15. Elle m'explique qu'elle n'a pas accompagné son mari à l'aéroport, mais qu'elle vient de visiter un autre hôpital. Je lui fais un résumé rapide de la situation et nous essayons d'analyser le pourquoi de ce revirement. D'après elle, c'est simplement parce qu'ils lui ont promis un nourisson et qu'ils lui gardent ce garçon au cas où ils ne lui trouveraient pas de fille. Pour moi, il y a une autre raison, mais je ne vois pas laquelle ?

Je retourne à mon hôtel où TUAN m'attend tout excité. Il m'annonce qu'il vient de trouver un garçon pour moi en province. Comme j'ai l'impression qu'il invente ça pour me faire plaisir, je ne le crois pas, surtout que, lorsque je lui demande si ce bébé à son certificat de naissance et son acte d'abandon, il est incapable de répondre... Sauf que je dois le croire ! Que c'est sûr ! Pendant le repas, il arrive à me persuader... Demain, nous irons ensemble à Yen Baï !

Pendant que nous mettons en place cette expédition (4 heures de train m'annonce-t'il), arrivent à l'hôtel un jeune Français avec 3 autres personnes toutes aussi jeunes que lui. Ils ont un énorme 4X4 blanc rutilant - ils ne risquent pas de passer inaperçus là-dedans ! - et en 2 secondes ont transformé le hall de l'hôtel en fourmilière. Ce sont 2 photographes et leurs accompagnateurs qui arrivent de Saïgon, se sont arrêétés à Hué pour voir Soeur Chantal son orphelinat (elle a un nourisson adoptable depuis peu, me dit-il). Ils projètent une énorme virée dans les montagnes du Nord-Ouest.

Lorsque tout le monde eût trouvé une chambre, que tout le matériel fût casé, que les 2 ou 3 personnes qui les suivaient eurent l'information ou l'adresse qu'ils désiraient, que toute cette soudaine effervescence fût retombée... le jeune Français est venu s'asseoir à notre table. Il cherchait pour le lendemain un guide dans Hanoï pour y découvrir des "trucs" intéressants mais pas encore connus. Il est en contrat actuellement avec une agence de voyage américaine qui veut, pour son dépliant touristique, des photos qui fassent rêver, mais qui ne soient pas des clichés déjà vus et revus.

Lorsqu'il annonce qu'il donnera 10$ à celui qui voudra bien l'emmener dans les differents endroits dont TUAN vient de lui parler, je lui dis que je reporte notre voyage sur Yen Baï et je demande à TUAN d'accepter cette offre... ce qu'il fait. Mieux ! Pascal - le photographe - nous propose de nous emmener samedi avec lui puisqu'il passe par Yen Baï. Malheureusement, c'est ce jour là qu'Evelyne arrive !

Pendant qu'ils se parlent, je lis une de mes revues de pêche. Elle interesse beaucoup Pascal et il prend mes coordonnées pour venir cet été faire des photos des rivières les plus sauvages que je connaîsse.

Vendredi 10 décembre 1993

TUAN et Pascal visitent Hanoï toute la journée. Je ne fais plus de recherches, j'attends le résultat de mon travail des jours précédents. Le soir, on va tous voir les marionnettes aquatiques. C'est un spectacle unique, à ne pas manquer. Nous en ressortons émerveillés ! Et la journée se finit par une soupe devant l'hôtel où même HONG viendra participer...

Samedi 11 décembre 1993

De très bonne heure, Pascal s'en va vers Yen Baï et les montagnes du Nord-Ouest. Moi, j'attends Evelyne. Elle arrivera vers 16h. Je ne risquais pas de la manquer ; depuis 14h, j'étais sur le trottoir à la guêter ! Je lui annonce que tout ce que je lui avais dit au téléphone est devenu faux. Par contre, il y a peut-être un bébé de 4 mois adoptable à Yen Baï, mais il faut se lever très tôt (train à 6h) pour aller le voir, tout en sachant qu'il n'y a ni certificat de naissance, ni acte d'abandon. Je ne sais même pas où il est : Dans un hôpital ? Chez un tuteur ? Dans un orphelinat ? etc. Mais pour TUAN, c'est sûr, il faut y aller ; il dit que cet enfant est encore dans sa famille. Moi, je trouve cela très bizarre ?

Je demande à Evelyne si elle est prête à subir cette expédition malgré la fatigue de son voyage ? Elle me répond que OUI. Rendez-vous est pris avec TUAN pour demain matin. Quant à nous, nous allons manger un riz cantonais avant de nous coucher bien vite.

Dimanche 12 décembre 1993

Lever à 4h30 car on n'a pas les billets de train et qu'il faut parfois attendre de longues minutes - d'après TUAN - pour les obtenir. Départ de l'hôtel sous un petit crachin vers 5h30. On trouve assez rapidement 2 pousse-pousse (leur propriétaire y dorment souvent dedans, recouvert par une simple feuille de plastique) ; arrivée à la gare à 5h45.

En fait, nous aurions pu dormir une demi-heure de plus car nous sommes les seuls à avoir besoin de billets ; et c'est dans la semi-obscurité que nous recherchons notre train. Il n'est guère confortable avec ses sièges en bois, ses fenêtres sans carreau mais grillagées et aux rideaux métaliques.

Notre wagon est à moitié vide, il fait froid (10C). Comme prévu, le train se met en marche à 6h. D'aprés TUAN, il ne doit pas dépasser le 30 km/h (il existe, paraît-il, un express qui atteint le 45 !).

Pour l'instant, nous essayons de sortir de Hanoï : Les piétons sont presque aussi rapides que nous ! Arrivés sur le pont Doumer, le bruit des essieux sur les traverses est assourdissant. Si tout le voyage est de la même veine, nous allons devenir complètement fous !

Heureusement, le reste du voyage sera un peu moins bruyant. A chaque gare montent de plus en plus de gens, avec des sacs de riz, des cages de poules, des oeufs... Quelques uns ne font que passer pour vendre des journaux, du maïs, des oeufs durs, des galettes, des fruits, du thé (en thermos), etc. puis redescendent avant que le train ne reparte. A un moment, je suis même obligé de me lever pour déplacer un sac de denrées inconnues - mais plein de pailles et de terre - qu'une paysanne a généreusement déposé dans le porte-bagage juste au-dessus de ma tête. J'ai eu le temps, quand même, d'en prendre plein les cheveux.

Lorsque nous arrivons enfin à Yen Baï (à 12h15 et non à 10h comme TUAN l'avait promis), le wagon est surchargé. Avant de descendre, on nous prévient à plusieurs reprises de nous méfier des voleurs. En fait, comme nous ne sortirons pas par la gare mais par les entrepôts, nous ne remarquerons rien justifiant ces mises en gardes.

Nous allons, dans un premier temps, rendre visite à des personnes qui ont, d'après ce que je comprends, servi d'intermédiaire, puis nous partons à la recherche d'un restaurant.

Evelyne me demande de lui trouver une bouteille d'eau parce qu'elle a très soif, mais dans cette ville de province où l'on ne trouve que le strict nécessaire, cette denrée n'a pas l'air d'exister. Pendant que je m'apprêtais à acheter une boite de Coca-Cola (ça, il y en a partout !), TUAN, lui, monnayait la location de motos (avec chauffeur, c'est obligatoire) de l'autre côté de la rue. Une soudaine agitation dans mon dos me fait me retourner. Une cinquantaine de personnes forment un cercle très serré dont TUAN est le centre. Je replonge mes dongs dans ma poche et me précipite vers le groupe près à lui venir en aide.

TUAN n'a pas l'air d'avoir de "problème" ; mais pour m'en assurer, il m'a fallu rentrer dans la mêlée... et je m'apercevrai un peu plus tard que quelqu'un en a profité pour me subtiliser tout mon argent vietnamien (l'équivalent de 200F) !

Bref ! Il réussit à louer 4 motos pour nous transporter tous vers cette famille susceptible de nous "fournir" un bébé. Commence alors une chevauchée de 8 km digne des plus grands films hollywoodiens (courses effrénées des motos très sales, cheveux au vent, poussière... il ne manquait que James DEAN !). Je me demande comment nos conducteurs ont réussi à ne pas se perdre de vue dans ces rues pleines de gens ? Finalement, nous prenons un sentier de terre, mais c'est à pied que nous ferons la centaine de derniers mètres.

Nous sommes accueillis par un couple dans une case traditionnelle : Le sol est en terre battue, les murs en torchis et le toit en feuilles de palmes. TUAN traduit au fur et à mesure les propos... et c'est seulement à ce moment là que nous comprenons que c'est leur bébé - celui à qui elle est en train de donner son sein (il a 4 mois) - que cette famille va nous donner ! Pauvre femme, obligée de confier à d'autres celui qu'elle aurait tant souhaité garder à ses côtés, celui qu'elle ne verra pas grandir, jouer, pleurer, rire... celui qu'elle aime déjà si fort et qui va partir vivre loin de sa vie !

Ses pleurs sont déchirants ! Je me sens terriblement coupable ! J'ai l'horrible sentiment d'être venu en voleur ! Je voudrais l'aider, la rassurer, mais les mots ne sortent pas de ma gorge ! De toute façon, pour dire quoi ? Je ne parle même pas sa langue ! Les minutes sont éternelles, le temps a suspendu son vol... C'est vrai qu'en ce moment, j'aimerais être ailleurs, ne plus voir cette femme qui pleure, ne plus sentir mes larmes qui roulent sur mes joues, mes yeux qui me brûlent, ma tête qui explose à trop me poser de questions ! Mais pourquoi n'ai-je rien ressenti l'autre jour à l'hôpital lorsqu'on m'a mis ce bébé dans mes bras ? Un monde de néant sépare ces 2 univers, cette case et ces hôpitaux : le premier, c'est l'Amour, avec un A grand comme une cathédrale ; le second, c'est le supermarché avec son fric, ou la SPA avec ses faux sentiments. Non ! Pour rien au monde, je ne voudrais être ailleurs...

Je m'asseois à côté d'elle et je la serre dans mes bras. C'est idiot, primaire, mais je n'ai rien trouvé de mieux. C'est terriblement rassurant de sentir son corps contre le mien. Sa châleur me traverse (qu'il doit être agréable d'aimer cette femme !) et, quelque part au fond de moi, je ressens comme une jouissance. Tous les pères doivent être dans cet état lorsqu'ils voient pour la première fois l'être qu'ils ont tant désiré, dont ils ont tant rêvé. Je sens sa tête s'abandonner sur mon épaule. Ses larmes me deviennent agréables. Elles sont pour moi le symbole d'une intense douleur qui s'estompe, semblable à la plénitude que doit ressentir la mère après la violence de l'accouchement. Je l'aime comme si c'était ma propre femme ! Sauf que si c'était Evelyne, je demanderais à tout le monde de sortir pour être seul avec elle.

Lorsque je relève la tête, je n'aperçois que des milliers d'yeux qui nous regardent. Les visages me sont étrangers, voire indifférents. Seuls ces pupilles qui brillent (les larmes ?) frappent mon cerveau. Je ne cherche pas à dévisager. Non, je suis ailleurs. J'attends un signe, que quelqu'un me vienne en aide, que quelqu'un brise ce silence devenu insupportable. La main d'Evelyne se pose sur mon autre épaule : Je suis sauvé ! Je la lui saisis, je la lui serre. Qu'il est doux de retrouver un être cher quand tout s'écroule autour de vous !

Je ne me souviens pas qui a parlé le premier. Peu m'importe, c'est sans importance ? Je me rappelle que TUAN a traduit "Le curé nous attend à l'autre bout de la ville pour bénir cette adoption !" Ah ! C'était donc pour ça qu'il m'avait demandé si j'étais catholique. Evelyne m'aide à me lever. Je fais de même avec la mère. Mais avant de partir, on va nous présenter toute la famille : les 4 fils, les oncles, les tantes, les cousins, les grands-mères et les grands-pères... et tous les voisins venus assister et partager ce formidable moment de vie.

J'enveloppe le bébé dans mon tricot pour qu'il n'ait pas froid sur la moto et nous commençons à faire nos adieux à tous ces gens. Un de ses frères - le second en âge - ne peut supporter de voir partir ainsi un être qui lui était devenu cher et il tire sur ses vètements pour me l'arracher. Il crie, il pleure, il hurle tout en continuant de tirer, de se débattre, de me frapper... Il essaye de m'écarter les bras pour que je lâche le bébé, sans réaliser que si je le lâche, il va tomber et se faire mal. Mais sa rage et sa colère ne veulent rien savoir. Je le lui tends pour le calmer ; il le serre amoureusement contre lui.

Sa mère le reprend car Evelyne tient à ce que se soit elle qui le porte sur la moto. Et nous voilà repartis, la mère, sa soeur et le bébé sur une moto (avec son conducteur, ça fait 3 adultes + 1 bébé), TUAN et l'intermédiaire sur une autre, Evelyne sur la troisième et moi sur la dernière (avec nos conducteurs respectifs). Et c'est ainsi que l'on retraverse toute la ville... pour revenir à notre point de départ car l'église est située juste à côté de la maison de l'intermédiaire. J'avais bien remarqué - et visité - une église en ruine en arrivant (toujours les restes des bombardements), mais je n'avais pas vu qu'une autre avait été construite sommairement à côté. Il y a même un presbytère.

Un vieux prêtre en soutane nous y attendait, il nous invite à nous asseoir autour d'une grande table. La mère a toujours l'enfant dans ses bras. On nous propose du thé ou, comme Monsieur le curé, un chocolat. Juste à ma droite sont assis 2 messieurs que personne ne semble connaître. Comme l'un d'eux parle français, je lui demande de se présenter. Il est très évasif (ou c'est son français qui est trop approximatif), il me semble comprendre que ce sont 2 "officiels" qui sont en tournée dans cette province. Qui les a convoqués ? Pourquoi sont-ils là ? Personne ne le saura !

On va parler d'un peu de tout, de nos motivations, des restes de la présence française au Viet-Nam... Puis viendra la bénédiction. On nous demandera ensuite de rendre une petite visite à un groupe de soeurs. Comme le soir tombait, j'essayais de raccourcir toutes ces cérémonies car je voulais - et Evelyne avec moi - redescendre sur Hanoï immédiatement.

Je laisse Evelyne, le bébé et sa mère biologique chez l'intermédiaire et me voilà parti, avec TUAN, à la recherche d'une voiture à louer (avec chauffeur, comme toujours). Heureusement qu'il connaît bien cette ville - il y a fait son armée - car il fait déjà nuit. C'est dans un hôtel que l'on trouvera l'oiseau rare. TUAN arrive à marchander à coups de téléphone (à qui ?) la course à 60$ (l'aller en train a couté 10$ pour nous 3). Je pense que l'on a beaucoup de chance d'avoir trouvé une voiture à louer dans ce "putain de bled" et je ferme les yeux sur son état lamentable.

Retour chez l'intermédiaire pour récupérer Evelyne, le bébé et faire les derniers au revoir. J'en profite pour glisser discrètement 150$ dans la main de la mère en demandant à TUAN de bien lui spécifier que ce n'est pas pour "payer" l'enfant qu'elle nous donne, mais pour que ses frères aient un peu plus de confort. Je donne 20$ à l'intermédiaire pour le remercier de tout ce qu'il a fait pour nous. Et nous voilà partis vers Hanoï, avec à notre bord la fille de l'intermédiaire qui profite de l'occasion pour aller faire quelques courses, achat de tissus notamment.

Les premiers kilomètres se passent sans problème... pour un Vietnamien ; car, pour nous, doubler en plein virage, voir soudain au milieu du capot un cycliste ou un camion sans lumière, nous ne nous y ferons jamais ! Eux, ils ont l'habitude et ils ne bronchent pas ! Pas le moindre juron ! Par contre, ils usent et abusent du klaxon... Quant à bébé, il dort. Pas bien longtemps ! Sa mère lui donnant le sein "toutes les 5 minutes" (lorsque ce n'était pas le sein, c'était une bouillie... ), il se reveille bientôt affamé.

Evelyne trouve une solution : elle machouille des petits gâteaux et lui donne cette drôle de bouillie ; ça doit le satisfaire puisqu'il se rendort bientôt. Il n'y a pas que bébé qui a faim ; dès que nous apercevrons un restaurant, nous nous arrêterons pour manger (il a fallu arriver dans une grande ville pour en trouver un). Pour nous, pas de problème. Mais pour le bébé ? Nous expliquons aux personnes de ce "restaurant" qu'il a lui aussi faim... mais que nous n'avons rien à lui donner. Ce n'est pas un problème pour eux ! Immédiatement, ils partent à la recherche de LA solution (un biberon ? une bouillie ?), reviennent 5 minutes plus tard les mains vides, nous prennent le bébé, et là, chose incroyable pour nous Européens, ils le confient à une femme qui s'asseoit derrière nous et lui donne... son sein !

A peine la voiture a t'elle redémarré qu'il s'endort heureux et rassasié. Le voyage durera 6 bonnes heures (pour 180km !) ; c'est soulagés que nous arrivons enfin à l'hôtel. La première des priorités sera de le laver ! Je vais dans la cuisine et j'y récupère une des bassines métalliques qui servent à la vaisselle ; c'est là dedans qu'il prendra son premier bain... en poussant des hurlements à réveiller toute la rue ! Quant à sa première nuit, c'est dans une de nos valises - quand même aménagée comme il se doit - qu'il va la passer !

Lundi 13 décembre 1993

La nuit s'est déroulée comme on le craignait : Monsieur a faim toutes les 2 heures ! Pourtant, d'après les livres, il devrait commencer à faire des nuits complètes ! Mais sa mère, avec le peu de lait qui s'écoulait de ses maigres seins, l'a habitué à prendre peu... mais souvent !

Je vais voir Mme HA pour lui annoncer la bonne nouvelle. Elle me répond que ce n'est pas un orphelin, donc ce n'est pas à son service que je dois m'adresser, mais à la Justice. Elle me rend 3 dossiers sur les 4 que nous lui avions envoyés.

Direction Mlle PHUONG au service de la Justice de Hanoï qui y est responsable de la section "enfance". Même réponse ! Ce n'est pas son service qui doit s'occuper de cet enfant car il n'est pas de la province de Hanoï ! Elle m'explique gentiment que je dois confier mon dossier au service de la Justice du Comité Populaire de la province de Yen Baï. D'après elle, comme c'est la plus grande ville de cette province, elle doit héberger ce Comité.

Je retourne à l'hôtel et j'interroge TUAN : Y a t'il 1 ou 2 Comités Populaires à Yen Baï ? D'après lui, il y en a 2 ! Je lui demande s'il veut bien m'accompagner là bas sachant qu'il va manquer ses cours ? Comme toujours, il accepte avec empressement (je pense que si je ne l'avais pas invité à se joindre à moi, je l'aurais vexé à jamais !) ; il ira cet après-midi acheter les 2 billets car Evelyne reste avec Damien à l'hôtel.

Le personnel de l'hôtel accepte avec plaisir que nous nous joignons à eux pour prendre le repas de midi. Ils ont compris que nous voulions participer aux frais : ce sera 4000 dongs par personne (à peu près 2,50F !).

L'après-midi, nous promènerons Damien dans les rues de la vieille ville de Hanoï, puis ce sera l'heure du deuxième bain - beaucoup plus calme cette fois - dans un grand baquet acheté durant la promenade. Commencerait-il à aimer ça ?

Mardi 14 décembre 1993

Midi : Arrivée à Yen Baï. Nous allons chez l'intermédiaire et lui donnons comme mission de se rendre - avec les parents biologiques - au Comité Populaire de la ville pour y faire établir l'acte d'abandon. Lorsqu'ils seront là-bas, qu'ils en profitent pour demander un acte de naissance... et payer l'amende si cela n'a pas été fait.

Puis TUAN se fait prêter une moto par une de ses connaissances qui habite juste à côté et nous partons déjeûner dans un boui-boui. Après un très bon repas, nous voilà repartis pour rendre visite à un de ses amis. Il habite dans un quartier résidentiel, assez loin de la route principale. Je découvre alors que la ville ne s'étire pas tout en longueur puisqu'il y a de nombreux quartiers qui ont poussé sur les côtés. Ces quartiers sont assez difficiles à deviner car les rues qui les desservent se rejoignent toutes au fur et à mesure que l'on se rapproche de la route principale, si bien que l'on ne trouve que 2 carrefours dans la ville ; en plus, cette route principale est légèrement en contre bas.

Nous allons passer l'après-midi à discuter avec cet homme - qui est promoteur - puis nous nous mettons à la recherche d'un hôtel. Il y en a un à côté de la gare, mais lorsque j'ai vu ce qu'ils appelaient une chambre (et l'odeur qui sortait du seul WC de l'étage !), nous sommes partis en courant. Restait celui où l'on avait loué la voiture. Les chambres sont correctes, mais TUAN prétend qu'il est arrivé que des clients s'y soient fait détrousser pendant leur sommeil. Il me propose de laisser tout ce qui a de la valeur chez l'intermédiaire qui habite presque à côté. En payant la chambre de suite, ça résoud tous les problèmes !

Nous allons justement chez l'intermédiaire pour voir s'il a réussi à obtenir les 2 documents. C'est avec un grand sourire qu'il me les tend. Il y a parfois des petits évènements qui font sacrément plaisir. Comme nous sommes attendus pour manger chez l'ami de TUAN, nous ne nous attardons pas. En partant, nous les prévenons que nous repasserons pour leur laisser tout ce qui a de la valeur.

Le repas que nous a concocté son ami (enfin, l'épouse de son ami, parce qu'au Viet-Nam, les hommes n'en fichent pas lourd dans la maison ! ) est absolument phénoménal, avec toutes sortes de viandes préparées de différentes façons (cuites au citron, laquées, mijotées...), servies avec quantité de légumes tout aussi succulents et accompagnées des traditionnelles bières. Pendant que nous mangions, l'intermédiaire est arrivé pour reprendre l'acte d'abandon parce qu'il y manquait une signature. Je le lui donne, pensant qu'il veut aller combler cette lacune.

Une fois le repas terminé (tous ces fruits tropicaux, quel régal ! Et TUAN qui m'avait dit qu'ils ne mangaient pas de dessert !), nous retournons chez l'intermédiaire pour y laisser tout ce qui a de la valeur. Nous n'y allons pas trop tard pour ne pas trop les déranger et cela nous permettra de retourner ensuite chez le promoteur pour y continuer nos bavardages (tout y passe : l'économie, la politique, le sport, l'éducation...). C'est vers 23h que nous prendrons congé. Sur le chemin de l'hôtel, nous nous arrêterons pour remettre de l'essence dans la moto avant de la rendre à son propriétaire. Puis nous gagnons nos chambres avec une petite appréhension au fond du coeur... Va-t'on nous agresser pendant notre sommeil ?

Mercredi 15 décembre 1993

Finalement, la nuit s'est passée sans problème mais je suis incapable de dire combien de temps j'ai dormi tant le sommeil a été long à venir. Nous repassons chez l'intermédiaire pour récupérer nos affaires et la moto, puis nous partons au Comité Populaire de province.

Après une petite attente dans la guérite de l'entrée de cette immense cité administrative dont on ne voit que quelques bâtiments tellement elle est disséminée dans une forêt vallonnée, on nous invite à entrer dans un bâtiment neuf... à l'extérieur de l'enceinte !

TUAN m'explique que c'est le service judiciaire qui vient de s'installer là (pour fuir les pressions des politiques ? Je ne poserai pas la question !). Nous sommes reçus par un homme d'une quarantaine d'années, très bien habillé mais ne parlant que vietnamien et russe. Il se nomme CUONG et c'est le responsable de la Justice pour toute la province de Yen Baï. Il consulte le dossier (j'ai le coeur qui se serre ! J'espère qu'il ne va pas nous renvoyer à Hanoï !), demande quelques photocopies (passeport, acte d'abandon, acte de naissance... ) et 200$ pour les frais de dossier. Je respire... Nous sommes bien au bon endroit, et c'est moins cher qu'à Hanoï (235$). Il conclut en nous annonçant que tout sera prêt dans 2 mois !!! Je lui fais remarquer que, à cette date, je serai rentré en France ! Il va essayer de tout terminer dans 3 semaines. Ouf !

Avant de partir, je lui signale que nous préférons garder Damien avec nous à l'hôtel plutôt que de le mettre dans un orphelinat. Il reconnaît qu'il sera 100 fois mieux avec nous et, en plus, cela ne pose aucun problème de procédure.

A peine sortis, nous fonçons à la Poste pour communiquer la bonne nouvelle à Evelyne et lui signaler que nous rentrons ce soir par le train. Ensuite, nous allons à la gare acheter les billets ; puis, comme nous avons un peu de temps devant nous, TUAN me propose de retourner chez son promoteur. Ce n'est qu'une fois installé dans le canapé qu'il s'apercevra qu'il a perdu tout son argent ! Il me laisse une seconde fois seul et part refaire en sens inverse tout l'itinéraire de ce matin.

Sa recherche sera vaine (pour moi, il l'a oublié au guichet du bureau de Poste). Il estime avoir perdu entre 30 et 40$ ! C'est une grosse somme pour un Vietnamien. A ma grande surprise, cela ne le traumatise pas pour autant car il va commander de quoi manger à un boui-boui... qui nous le servira chez son ami ; lequel m'interdit de payer ! C'est lui qui réglera le tout alors que seuls TUAN et moi avons mangé ! Ah, ces Vietnamiens, quelle générosité !

Avant de monter dans le train, j'achète une vingtaine de petites bananes. Tout au long du trajet, je me suis régalé (elles sont si différentes de celles que l'on trouve en France !) ; TUAN, lui, n'aime pas trop, il n'en a mangé que 2. Quant au train, il est encore plus bondé que les autres jours (je suis obligé de "jouer du pied" pour pouvoir m'asseoir convenablement) et il arrivera avec 2 heures de retard, soit 8 heures pour faire 160km !

Jeudi 16 décembre 1993

Nous n'avons plus qu'à attendre. Le matin, promenade de Damien dans les rues de Hanoï, puis repas de midi pris à l'hôtel, repromenade l'après-midi. Le soir, pour fêter ça, nous invitons TUAN (après ses cours) au restaurant ; mais dans un vrai, pas un de ces bouis-bouis qui ferme à 19h. A peine avons nous pénétré à l'intérieur que l'on nous prend Damien. On ne nous le rendra qu'une fois l'addition payée. Ah, si les restaurants français pouvaient avoir la même attention ! Au demeurant, le repas fut excellent (soupe de crabe aux asperges, crevettes grillées aux foies de volaille, crême caramel).

Du vendredi 17 décembre 1993 au dimanche 2 janvier 1994

Toujours la même longue attente. Seuls quelques petits événements sont venus rompre les habitudes quotidiennes : Un matin, nous avons croisé Pascal dans la rue. Il s'apprêtait à prendre l'avion pour la France afin de passer les fêtes de fin d'année dans sa famille. Il a sorti un Polaroïd de sa poche et nous eurent ainsi la première photo de Damien dans nos bras ! Puis nous avons supprimé la promenade du matin, elle fatiguait trop Damien.

Chaque fois qu'un couple adoptant rendait visite à HONG, il nous les envoyait à l'hôtel... Ce sont des gens qui devaient avoir énormèment d'influences avant la prise du pouvoir par les communistes car ils ont conservé de nombreuses relations en France. Bien rares furent les jours où l'on ne vit personne !

Un soir, c'est TUAN qui nous a emmenés manger dans un boui-boui qui ne propose que des nems à la crevette. Pour 9F, nous en avons mangé tous les trois à ne plus finir. Nous y sommes retournés souvent.

Un autre soir, Evelyne et moi avons mangé dans un des restaurants les mieux côtés de Hanoï, le CHA CA. Eux aussi ne proposent qu'un seul plat, une sorte de fondue de poissons au safran beaucoup trop grasse à notre goût.

La femme docteur qui m'avait accompagné à l'hôpital St Paul est venue nous voir, elle en avait marre de donner de l'argent. La fille que l'on m'avait promis n'était pas adoptable pour d'obscures raisons, mais l'hôpital St Paul lui en avait trouvé une. Tous les jours, ils lui demandaient de faire un nouveau cadeau (200$) ! Il y avait toujours un service "oublié" à qui elle devait, soit disant, reconnaissance... et ils ne lui donnaient pas sa fille. Elle qui encouragait la corruption parce que "ces docteurs sont payés une misère par rapport à ce qu'ils font", elle a été servie. Le lendemain, elle avait sa fille. Je l'aidais à changer d'hôtel et 15 jours plus tard, elle s'envolait pour la France en laissant derrière elle une meute de requins affamés de dons en dollards !

CUONG a appelé, un jour, pour signaler qu'il lui manquait la lettre d'engagement. En France, nous avions fait 2 lettres - une pour le service de Mme HA, l'autre pour celui de Mlle PHUONG - dans lesquelles nous nous engagions sur l'honneur à élever correctement et dans la dignité notre enfant. J'ai oublié d'enlever du dossier ces 2 lettres devenues totalement inutiles puisque elles s'adressent à des gens de Hanoï et non de Yen Baï. Nous avons rédigé sur le champ une lettre d'engagement adressée à son service et certifiée par l'Ambassade de France.

Un autre jour, c'est un couple qui nous a contactés afin que l'on rédige un papier pour l'hôpital 108. En effet, cet hôpital nous avait trouvés un bébé de sexe masculin et nous l'a mis de côté, cela va faire 15 jours maintenant (ils nous ont téléphonés, mais nous étions à Yen Baï). Ils ne le donneront à personne d'autre tant qu'ils n'auront pas reçu un papier de renoncement de ma part. C'est avec empressement que je l'ai fait, en y joignant mes sincères remerciements pour la formidable attention qu'ils venaient de me témoigner. Quand je pense que les autres hôpitaux donnent leurs enfants au plus offrant !

Un soir, c'est un journaliste japonais qui est venu faire un reportage sur les raisons qui poussent les étrangers (Américains, Suisses, Suédois, Canadiens, Japonais, Français, Allemands...) à venir adopter au Viet-Nam. Son journal tire à 3 millions d'exemplaires. Avec Evelyne, nous pensons qu'il voulait surtout faire un article sur le trafic d'enfants.

Nous avons assisté au Noël vietnamien. En rangs serrés, les gens tournent tout autour de la cathédrale en une immense et bruyante (les pétards !!!) procession, mais ils n'y pénètrent pas. On aurait dit une manifestation pour la liberté d'expression !

C'est à peu près à cette période que nous avons appris que CUONG était parti une semaine en congé (TUAN lui téléphonait régulièrement) et qu'il n'y avait personne là-bas pour s'occuper du dossier de Damien. Il ne reviendra que le 3 janvier !

Le 31 Décembre, nous avons offert à tout le personnel un petit cadeau : aux femmes, une broche à cheveux ; aux hommes, un stylo japonais. Nous avons également réglé le solde de la chambre à ce jour ; TUAN avait raison, ils nous l'ont faites à 12$.

Quant à nous, nous avons d'abord eu droit à un bouquet de roses - avec son vase - offert par le directeur de l'hôtel. Puis, il nous a invité à une mini fête à grand renfort de... pétards et de fusées, mais il y avait aussi du whisky, quelques alcools locaux et quantité de bonbons et de gâteaux. Damien s'est couché à minuit bien passé ! Entre temps, j'ai voulu faire à Evelyne les si fameux crabes à la bière, histoire de marquer l'évènement, mais la cuisson a été totalement manquée !

Le lendemain, comme j'avais promis au personnel de l'hôtel de leur préparer le repas de midi, j'attendais TUAN pour aller faire quelques courses. L'heure passait... et il n'était toujours pas là. Il revint les bras chargés de fleurs et les arranga avec mille précautions dans un vase. Croyant qu'un client lui avait commandé cette délicate attention pour son épouse, je ne me permis pas de lui faire la moindre remarque. Il monte faire sa livraison pendant que je continue de l'attendre dans le hall. Sitôt redescendu, je l'entraine au marché pour y acheter 2 poulets.

Lorsque nous rentrons, je monte voir Evelyne dans la chambre pour lui demander de descendre à mes côtés car je vais avoir beaucoup de travail dans la cuisine. Et là, au milieu de notre table, je vois le superbe bouquet de fleurs de TUAN ! Ce qu'il y a de plus merveilleux dans sa combine, c'est qu'il a offert les fleurs à Evelyne sans lui dire qu'il lui offrait aussi le vase. Elle a cru que c'était un vase emprunté à l'hôtel.

C'est avec 1 heure de retard que je peux enfin mettre mes poulets à cuire. Je trouve que le feu est bien faible. Par 2 fois, je leur demanderai d'essayer de le réactiver. Ce n'est qu'une bonne heure plus tard qu'ils s'apercevront qu'il n'y a plus de pétrole dans le réservoir.

Moi, vu la vétusté de l'engin, je n'osais pas y toucher ! Nous avons mangé avec 2 heures de retard et je n'ai jamais reproposé mes services !

Lundi 3 janvier 1994

De bon matin, TUAN arrive à l'hôtel pour téléphoner à CUONG : Il ne peut toujours pas dire quand aura lieu la remise officielle car il lui manque des papiers. Il nous signale toutefois qu'il lui faut 3 photos de Damien pour le dossier.

Nous décidons de monter à Yen Baï demain sans le lui dire. Notre présence là-bas peut faire progresser rapidement notre affaire, surtout si nous maintenons la pression. Je projette d'aller dans son bureau une fois le matin de bonne heure, puis de lui téléphoner vers 10h30, de retourner à son bureau en début d'après-midi et de lui téléphoner une dernière fois vers 16h30. De toute façon, attendre à Hanoï ou à Yen Baï, quelle différence ? Christine, la photographe, sera du voyage ; elle espère pouvoir faire de magnifiques photos. TUAN ira acheter les billets de train aujourd'hui.

L'après-midi, nous allons faire 10 photos de Damien, car il en faudra aussi pour le passeport, le visa... Evelyne le prend sur ses genous et le photographe se met en face. Comme Damien lui tourne totalement la tête, il se met à faire des gestes, des pitreries, à pousser des cris, etc, pour qu'il le regarde. Aucun résultat ! Damien est obnubilé par quelque chose sur sa gauche et rien d'autre ne l'intéresse. Evelyne se déplace. Rien ni fait, il a la tête encore plus tournée vers l'arrière ! Je me joins au photographe, puis une autre personne vient nous aider, encore une autre... Nous sommes maintenant une bonne dizaine à faire les clowns sur le trottoir pour que Monsieur daigne se laisser photographier. Nous n'obtiendrons qu'un bambin au visage de profil et aux yeux fixant un objet sur le côté.

Mardi 4 janvier 1994

Nous arrivons à la gare vers 13h30 ; Christine n'ayant pas encore son billet, TUAN va le lui chercher. Lorsque nous nous installons dans le train, je remarque qu'il lui manque

sa serviette : Il l'a oubliée sur le comptoir ! Par chance, il y avait encore du monde à attendre et personne n'avait remarqué - et profité de - son "oubli".

C'est le train "rapide" de 14h que nous avons pris. Il est un peu mieux équipé que celui de 6h (il a des "vitres" en plexiglas... et plus de contrôleurs que de clients), donc plus cher, mais uniquement pour les Vietnamiens, ce qui fait qu'il est vide de tous les "marchands" et autres "paysans" qui provoquaient des arrêts interminables dans les gares. Comme, sans billets, ils n'ont pas le droit d'y monter, ils se contentent de défiler sous les fenêtres en proposant leurs produits.

Avec Christine, nous nous installons pour prendre plein de photos (j'en ai tiré plus de 70). Les "contrôleurs" viennent immédiatement nous demander de rabaisser la grille. Nous leur expliquons que les vitres en plexiglas sont trop rayées pour nous permettrent de prendre des photos. Je passerai le voyage à faire le guet des jets de pierre par les enfants (nous les éviterons toutes). Avant d'arriver à la gare, les recommandations pleuvent : "Méfiez-vous des voleurs, il y en a partout. Ne laissez pas vos affaires sur les sièges, on vous les arracherai par la fenêtre !"

Nous y arrivons à 18h30, il fait déjà nuit. Pendant que TUAN part rechercher la voiture qu'il a loué depuis Hanoï, nous nous installons contre le mur de la gare sous un lampadaire, nos bagages en tas contre nos talons et nous formant un demi cercle tout autour. Rapidement, une foule de Vietnamiens de tout âge nous entoure. Ils nous serrent de plus en plus contre le mur. Rien qu'en tendant le bras, je touche les plus près. Quelques policiers passent, mais totalement indifférents ! Et comme personne ne parle ni anglais, ni français, impossible d'expliquer quoi que ce soit (si quelqu'un avait pu nous comprendre, aurait-il oser s'interposer ?). Enfin arrivent 2 militaires et un civil. En 3 mots, ils ont fait s'écarter tout le monde, puis nous font comprendre que nous ne pouvons pas rester là. Ils nous demandent de rentrer dans la salle d'attente et ferment la porte à clé juste derrière nous. Les militaires semblent plus craints que les policiers !

Comme cette salle a une autre porte qui s'ouvre vers l'extérieur de la gare, il ne faut pas attendre bien longtemps pour voir arriver une dizaine de personnes... mais la grosse majorité est restée de l'autre côté. Nous respirons enfin un peu. Je me mets à l'entrée, ce qui me permets de voir la place devant la gare et la salle où nous nous sommes réfugiés. Heureusement, TUAN arrive bientôt.

Je lui demande à quel hôtel on va ? Il me répond : "A un de bien". Nous n'en saurons pas plus. Nous montons dans la voiture, un peu serrés, mais ça fait du bien de quitter cette atmosphère. En fait, ce n'est pas dans un hôtel que nous allons, mais dans un centre de vacances pour les membres "méritants" du Parti ! Depuis la "libération" de 1989, ils ouvrent ce genre de sanctuaires aux touristes, cela leur fait rentrer pas mal de devises. Ils ont même mis une énorme enseigne "HOTEL" au carrefour. Les chambres sont fonctionnelles, très spacieuses, mais sales (même les draps ne sont pas propres !). Il y a plusieurs bâtiments, chacun correspondant à un niveau de prestation : chambre simple, chambre avec salon, suite. Nous prenons 2 chambres simples et une avec salon.

Sitôt installés, je pars avec TUAN chercher de quoi manger. Nous trouvons un "restaurant" à 1 km de l'hôtel, mais il est en train de fermer. TUAN parlemente ; ils acceptent de rallumer leur fourneau et de nous préparer un repas. Je fais remarquer à TUAN que nous n'avons rien dans nos chambres pour le consommer. "Il n'y a pas de problème" me répond-t'il, et il file dans la cuisine donner ses instructions en me laissant seul dans la salle.

Au bout d'un moment est arrivé un groupe de jeunes Vietnamiens, entre 18 et 25 ans (il est assez difficile de leur donner un âge). Ils ont commencé à me parler dans un anglais... rudimentaire. Un des murs de la salle était entièrement recouvert par une fresque représentant une femme indienne très légèrement vêtue - mais non nue - se baignant dans une rivière. Un des jeunes me la montre, soulignant de la main ses courbes harmonieuses. Je suis d'accord avec lui, c'est une belle femme. Tous se mettent à rire.

C'est alors que l'un d'eux fait lever sa copine et, à son tour, m'en vante ses formes. Je le taquine en lui faisant remarquer qu'elle n'a pas beaucoup de poitrine ! Cela fait rire tout le monde. Il ne s'en offusque pas, bien au contraire, puisqu'il me propose aussitôt de... l'essayer ! La situation devenant un peu scabreuse, je cherche vite une porte de sortie. Je leur montre la grande enseigne lumineuse indiquant l'hôtel à 1 km et je leur dis, dans un grand sourire : "My wife is waiting me in this hotel. It's impossible !" Il continue pourtant à palabrer. Je pense qu'il n'a pas compris. Je lui répète que ce n'est pas possible car ma femme m'attend à l'hôtel. Ce dialogue de "sourds" dure depuis bien 5 minutes lorsque TUAN arrive enfin. Je lui demande de traduire. Après un petit dialogue, TUAN éclate de rire et me dit : "Il te propose sa copine pour 8000 dongs et tu n'en veux toujours pas ! Elle n'est pas belle ? Elle ne te plait pas ?".

Je calcule rapidement : 8000 dongs, ça doit faire 4,50F ! Il croyait que j'estimais que sa copine valait moins que ce qu'il m'en proposait... et il baissait les prix ! Je suggère au jeune de l'offrir à TUAN, mais TUAN refuse.

TUAN, moyennant une caution, se fait prêter tout le nécessaire de cuisine : bols, baguettes, récipients... nous achetons quelques boissons et nous regagnons l'hôtel pour tout raconter à Evelyne et Christine. Comme les Vietnamiens ont toujours le sourire face à un étranger, je ne saurai jamais s'il plaisantait ou pas ?

Mercredi 5 janvier 1994

Vers 8h30, nous partons tous pour le service de la Justice. Lorsque nous y arrivons, CUONG nous y reçoit avec un large sourire. Nous lui remettons les papiers qui lui manquaient, les 3 photos de DAMIEN et nous lui demandons où il en est : Il attend le rapport de conclusion de l'enquête de police du commissariat de province, puis il amènera le dossier à son Président pour signature et il pourra alors faire la remise officielle. Dans combien de temps ? Peut-être dans une semaine, mais ça peut être plus long. Avec Christine, nous le prenons en photo sous tous les angles ; ça à l'air de lui plaire.

Nous sortons assez rassurés de cette "visite" mais l'incertitude de la date de la remise officielle m'inquiète un peu : S'ils sont aussi peu précis sur un point de cette importance - et dont ils sont maîtres - qu'est ce que ça va être avec la suite de la procédure ! Qui s'occupera de l'obtention du passeport et du visa de sortie de Damien ? A Yen Baï ou à Hanoï ?

Nous continuons notre matinée par la visite du Centre National de Vente et d'Achat de Pierres Précieuses qui est situé juste à l'autre bout de la rue. Vu de l'extèrieur, c'est un beau bâtiment, mais de l'intérieur, cette immense bâtisse est presque sinistre tellement sa salle principale est démesurée ! Il n'y a aucune pierre de visible, seulement un rubis brut qu'un mineur sort de sa poche car le centre vient de refuser de le lui acheter à cause de sa piètre qualité. Ils nous promettent de nous en montrer quelques unes demain matin ; rendez-vous est pris.

En sortant, alors que nous arrivons à la grille du bâtiment, nous nous arrêtons car TUAN ne nous a pas suivi : Il est en train de dialoguer juste un peu plus haut avec quelqu'un que nous n'avions pas remarqué. Il nous rejoint rapidement, mais une fois dans la rue, cet homme vient à notre hauteur en moto et reprend la conversation. Nous les laissons là car je tiens à profiter du beau soleil pour prendre des photos (et Christine - dont c'est le métier - encore plus que moi). Au bout d'un moment, ils nous rejoignent, tous les 2 sur la moto, et TUAN nous donne rendez-vous vers midi à l'hôtel ou devant le Centre de Pierres Précieuses avant de partir sans nous fournir la moindre explication. Qui est cette personne ? Où vont-ils ? Faire quoi ? Nous ne saurons rien !

Nous allons déambuler dans cette partie de la ville, prenant quantité de photos (notamment un marché établi sous des toits de palmes), regardant ce que proposent les étals des magasins (fort peu de choses en vérité, on est bien loin de l'opulence de Hanoï !) et cherchant les moindres coins d'ombres car le soleil est très ardent. Finalement, nous nous arrêtons à une "épicerie" pour acheter de quoi boire (même chaud, ça nous fera du bien) et nous nous réfugions dans un coin d'ombre pour en profiter. Nous voyant assis là, la vendeuse nous ouvre sa maison et nous invite à entrer. Elle dépose des verres sur la table, apporte une serviette pour éponger Damien qui ruisselle de sueur... et referme la porte derrière nous pour garder la pièce fraîche. Nous n'aurons jamais assez de "cam on" pour la remercier. Décidément, que de leçons d'hospitalité nous prendrons dans ce pays !

Vers midi, nous repartons vers le lieu de rendez-vous fixé par TUAN. Nous n'y arriverons pas car, pendant que nous marchions, le voici qui descend devant nous d'une moto. "Cela fait plus d'une heure que je vous cherche partout !" nous dit-il affolé. "Mais où étiez-vous donc passés ?" On lui explique que l'on s'était réfugié dans la maison d'une épicière ; comme celle-ci a refermé sa porte, il ne risquait pas de nous voir !

Le lieu de restauration le plus proche, c'est le "restaurant" de hier soir (nous leur avons rendu leurs ustensiles ce matin) et nous nous y rendons sur le champ. Chemin faisant, TUAN nous explique qu'il vient de rencontrer le sous-directeur du commissariat de province et que son épouse va venir nous voir dans ce restaurant pour nous montrer un rubis. A peine installés, cette personne arrive en effet. Elle donne la pierre à TUAN et je l'accompagne à l'extérieur pour l'examiner. C'est une pierre taillée sans grande valeur à cause de sa couleur trop rose et de son manque de profondeur (elle est trop transparente). Je le dis à TUAN et je vais manger pendant qu'il rejoint la dame pour lui signaler ce que j'en pense.

Je n'ai pas fini ma première bouchée que TUAN revient pour me dire :

"Ce n'est pas un problème si cette pierre ne te convient pas. Si tu veux, elle va revenir avec des plus belles."

Alors là, j'ai vu rouge !

"Dis à cette dame que je ne suis absolument pas intéressé par quelque pierre que ce soit ! Nous ne sommes pas à Yen Baï pour acheter des rubis mais pour adopter un bébé qu'une famille ne peut plus nourrir. C'est un acte d'amour qui ne peut supporter la moindre ombre et tous ces rubis proposés par un policier puent la corruption. Avec Evelyne, nous ne mangerons jamais au râtelier de ces gens là même si l'adoption de Damien doit en pâtir ! De toute façon, nous sommes en règle avec vos lois et nous ne voyons pas qui ou quoi nous empêcherait de l'adopter ! Va le lui dire !!!"

Nous n'entendrons plus jamais parler de ce sous-directeur !

L'aprés-midi, Christine et TUAN vont visiter Yen Baï et ses environs. Je ne sais comment il a réussi à louer une moto sans chauffeur, mais à ma grande surprise, c'est possible. Pendant ce temps, Evelyne se repose (elle était un peu malade) ; moi, je fais des photos du parc de la résidence. Il y a 3 superbes bougainvilliers (un jaune-orangé, un rouge pourpre et un lilas), de nombreuses sortes de palmiers, des arbres magnifiques mais inconnus... Sous un lampadaire, je découvre quantité de cadavres de gros scarabées à une, deux ou trois cornes, mais aucun n'est suffisamment en bon état pour être conservé.

Christine revient enchantée de sa visite. Comme il lui reste pas mal de travail à Hanoï, elle décide de repartir demain. Nous lui conseillons vivement de prendre le train "rapide" de 6h00 car l'autre, celui de 14h00, est vraiment "à problèmes". Elle accepte mais demande à TUAN de lui trouver un taxi de sûr pour ne pas se lever de bonne heure pour rien. Sur ce, nous allons manger au réfectoire de la résidence. En sortant, elle va à l'accueil pour régler sa note. Pendant que nous l'attendons, 2 autres personnes nous proposent... des rubis. Ils sont bruts et, dans le lot, il y en a un qui est vraiment très beau. J'aimerai bien connaître son prix, mais rien que de le demander nous plongerait immédiatemment dans des embrouilles à n'en plus finir ! Je me tais et nous regagnons nos chambres sauf TUAN qui est parti réserver le taxi.

Jeudi 6 janvier 1994

Christine n'a pas manqué son train ; nous récupérons sa chambre qui était la mieux des 3 et rendons les 2 autres. Je retourne voir CUONG avec TUAN. Pour lui, il est possible de faire la remise officielle demain mais rien n'est sûr car le Président n'a toujours pas signé. Là-dessus arrive un policier ; il prend TUAN dans un autre bureau et lui fait subir un interrogatoire d'une bonne demi-heure. A la sortie, TUAN me dit qu'il n'y a plus de problème. Nous repartons après que CUONG nous ait renouvellé son pronostic : demain, ce n'est pas sûr, mais c'est possible !

Nous retournons à l'hôtel chercher Evelyne et Damien, puis nous allons voir les pierres du CENTER of PRECIOUS STONES. Ce coup-ci, il y a de nombreux présentoirs. Je trouve bizarre de ne voir que des rubis et pas de saphir (pourtant son proche cousin) mais je le garde pour moi. A part quelques unes, les pierres qui sont exposées n'ont pas grande valeur. En Europe, nous ne leur donnerions que l'appelation corindon. Celle que j'ai vue hier soir était largement au-dessus de toutes celles là. Je dis à TUAN de leur demander si, en dehors de ces pierres de second choix, ils en ont de correctes. TUAN me regarde, inquiet ; visiblement, il a peur de les vexer. Je lui confirme que ce n'est que du deuxième choix qui ne vaut pas le déplacement de France. Il accepte de traduire. A son grand soulagement, ils lui répondent qu'ils en ont de bien plus belles. Comme ils ne peuvent pas nous les montrer avant demain (certainement pour raison de sécurité), je prends leur carte de visite et je leur explique que, étant à Yen Baï pour Damien, nous ne voulons pas prendre de risque. En partant, le directeur me dira que les prix affichés ne sont pas définitifs. Je ne change pas d'avis, je n'en achèterai pas... Mais je reconnais que, s'il n'y avait pas eu Damien...

Nous prenons le repas de midi au réfectoire, au milieu de camarades du Parti qui se réunissent depuis le matin dans un des bâtiments de la résidence. Comme pour le repas de hier, Damien est roi et toutes les femmes de service le veulent dans leurs bras, mais ça le fatigue. Dès que nous sortons de table, nous regagnons notre chambre pour le coucher. Evelyne, qui est toujours un peu fatiguée, en fait de même. TUAN disparaîtra tout l'après-midi ; quant à moi, je reprends mes séances photos.

Juste avant l'heure du repas du soir, TUAN revient nous voir. Il nous annonce que le réfectoire est fermé mais qu'il a déjà prévu comment manger ; de plus, il a rendez-vous avec CUONG à 19h (il dort dans son bureau. Il ne voit sa femme et ses 2 fils qu'une fois par mois). Là-dessus, il repart chercher ce qu'il a commandé à manger. Il revient avec une sorte de pâtes napolitaines qui s'avèreront succulentes, puis repart au service de la Justice.

Pendant qu'il est là-bas, un couple vient dans notre chambre nous proposer des rubis... je les renvoie sêchement. Peu après, TUAN revient de chez CUONG. D'après ce qu'il a compris, le dossier est bloqué et la seule possibilité de le débloquer, c'est de faire un cadeau au Président. Ayant appris à connaître CUONG lors de nos différents entretiens (c'est vrai que c'était toujours TUAN qui traduisait... ), je trouve que c'est une démarche qui ne "colle" pas à son personnage. Je demande à TUAN de m'accompagner chez CUONG.

Le Comité Populaire est situé à un peu plus de 1 km de l'hôtel, mais nous n'avons pas le temps d'y aller à pied. Donc, en sortant de la résidence, nous louons une moto avec son chauffeur. Nous y arrivons vers 21h. CUONG est dans son bureau avec d'autres personnes, ils jouent aux cartes. Dès qu'il nous aperçoit, il se lève et nous demande de le suivre dans un autre bureau. Nous allons parler pendant une bonne heure.

Dès les premiers mots, ma conviction est faites : TUAN n'a rien compris, il doit être un peu parano et le fait que je sois passionné par les pierres (quelqu'elles soient) a tout compliqué. Il a un peu trop vite fait l'amalgame entre les rubis présentés "sous le manteau" parce que nous avons visité le Centre de Pierres Précieuses et le blocage du dossier de Damien. C'est vrai que c'est le même service qui est incriminé, mais je suis sûr qu'il n'y a pas de relation de cause à effet. Simplement, une personne a voulu profiter de la présence d'étrangers intéressés par les pierres pour écouler sa "marchandise". L'affaire en restera là... sauf que j'avais l'intention de faire un petit cadeau à CUONG mais il a tellement peur de la corruption qu'il prétend refuser tout. Nous verrons bien demain et je rentre rassurer Evelyne.

Notre chauffeur nous ayant attendu devant le bâtiment, c'est avec plaisir que nous prenons place sur sa moto. En chemin, une forte explosion sort du moteur mais il continue de marcher. Je pense qu'il n'en sera pas de même demain, lorsqu'il sera froid (il risque de refuser de partir).

Vendredi 7 janvier 1994

De bon matin, je pars avec TUAN à la recherche d'un petit quelque chose pour CUONG. Dans cette ville de province, l'évidence constatée lors de nos précédentes promenades ne fait que se confirmer : Il n'y a rien ! Seulement le strict nécessaire (hormis quelques mini chaînes Hi-Fi). Nous retournons voir CUONG et je lui offre un de ces magnifiques stylos japonais achetés à Hanoï 1$ pièce. Il l'accepte avec plaisir. Nous reprenons la conversation arrêtée hier soir et j'admire de plus en plus le caractère de cet homme : intégrité, fidélité au Parti et à la parole donnée, respect des valeurs mais recherche permanente de plus de justice, volonté de ne pas en rester là et de servir toujours plus et toujours mieux son pays...

Pendant que nous parlions, un policier en tenue a donné à CUONG - en mains propres - le fameux rapport d'enquête. Pour moi, plus rien ne s'oppose à la remise officielle. Mais pour lui, c'est vrai qu'il est possible de la faire cet après-midi, mais ce n'est pas certain ; par contre, demain, tout sera fini ! Nous rentrons à l'hôtel en informer Evelyne.

Nous allons manger une nouvelle fois au réfectoire ; les femmes de service sont très déçues car je ne les autorise pas à prendre Damien : Il dort ! Une des personnes de l'accueil vient chercher TUAN, un appel téléphonique l'attend là-bas. Il en revient vite : "La cérémonie de remise officielle est prévue pour aujourd'hui 13h00 !". Le repas en restera là (nous oublierons même de le payer !). Ordre est donné à TUAN de louer une voiture, d'aller chercher les parents biologiques, de les amener au Comité Populaire... et d'ordonner au chauffeur de nous attendre pour pouvoir prendre le train de 14h00. Nous, nous nous précipitons dans la chambre pour faire les valises.

Quelques minutes plus tard, je suis à l'accueil en train de payer lorsque TUAN m'appelle. Il est au Comité Populaire, avec les parents, mais CUONG, lui, est parti manger. Je retourne au comptoir pour finir de régler. La femme qui fait notre note se trompe pour la deuxième fois. Je lui prends le papier et le stylo de ses mains et je lui fait le détail de ce qu'elle doit nous facturer (58$). Je lui donne 60$ et je reprends le papier pour y inscrire ce qu'elle me doit (en dong, parce que les dollards, je me doute qu'elle ne m'en donnera pas). Elle me rend ma "monnaie"... et nous partons immédiatement, la laissant faire et refaire ses calculs.

Le soleil est implacable. Nous sommes chargés comme des mules. Moi, j'ai à une main Damien dans son couffin, une grosse valise dans l'autre et la sacoche photo (quelques kilos) en bandouillère. Evelyne a un sac d'affaires de Damien et quelques autres babiolles. Je prends l'allure commando, me rappelant ces longues marches que l'on me demandait de faire à la moyenne de 8km/h lors de mon service militaire."Répètes-toi sans cesse : La volonté est plus forte que la douleur !" lui disais-je, afin qu'elle puise au plus profond d'elle même les ressources qui lui permettront d'avancer. La longue avenue qui mène au Comité Populaire paraît interminable. Arrivé à hauteur du Centre de Pierres Précieuses, j'accélère encore le pas pour pouvoir me décharger et venir en aide à Evelyne. TUAN nous aperçoit, il vient à notre rencontre ; je l'envoie aider Evelyne.

Nous nous sommes dépêchés pour rien : CUONG n'est toujours pas revenu ! C'est avec plaisir que nous rentrons dans le bâtiment, il y règne une sorte de fraîcheur bien venue. Je suis trempé par la sueur ! Elle me coule dans les yeux et m'empêche d'y voir clair. Je m'essuie par mon sweat-shirt, sors Damien du kangourou ; Evelyne lui donne un biberon d'eau sucrée qu'elle avait préparé. Lui aussi est trempé ; nous le changeons immédiatement pour qu'il n'attrape pas froid, puis nous le couchons dans son couffin pour qu'il se repose un peu. TUAN me signale que les parents biologiques sont dans le bureau de CUONG, à l'étage. Nous montons aussitôt.

Dès qu'elle nous voit, sa mère se précipite vers nous. Elle le cherche. Evelyne lui tend le couffin ; visiblement, elle ne s'attendait pas à le trouver là dedans. Elle le prend dans ses bras... mais ça le laisse indifférent. CUONG arrive enfin vers 13h30. Nous ne saurons jamais pourquoi il a été retardé. Je réalise que, lorsque la cérémonie sera terminée, il sera trop tard pour prendre le train. J'envoie TUAN demander au chauffeur de nous ramener à Hanoï dans l'après-midi ou de nous en trouver un autre. Il revient : Ce chauffeur est d'accord, mais pas avant 16h30 car il a un officiel à transporter avant. Je pense que nous avons tant de choses à dire aux parents biologiques de Damien que l'après-midi peut y être consacrée. Je demande à Evelyne (très occupée avec la mère qui veut mettre des mouffles à Damien) : Elle est d'accord !

La céremonie officielle de remise de l'enfant sera très simple. CUONG nous lit d'abord les extraits de Justice qui ont fait de lui le responsable de la Justice de cette province, puis la décision juridique stipulant qu'en vertu des lois et décrets (je passe sur leur numéro !), considérant la proposition de donation de Mr NGUYEN VAN HOI, père et de Mme BUI THI CHUYEN, mère de l'enfant, raison de la donation : difficulté économique ; considérant la demande d'adoption de Mr et Mme BOUSSAC Jean-Paul, raison : stérilité ; décide de donner le petit NGUYEN VAN HIEP, né le 12 août 1993, à Mr et Mme BOUSSAC Jean-Paul qui seront responsables de son adoption...

Ensuite, nous signerons tous le registre de Justice. Pour finir, CUONG me remettra un dossier complet - avec les enquêtes de police - afin de continuer les démarches. Il pense que c'est à Mme HA qu'il faut que je l'amène.

Nous continuerons la journée en parlant d'un peu de tout sans qu'il y ait de discussion philosophique sur le pourquoi et le comment d'un acte d'abandon ou d'adoption. Au bout d'un moment, TUAN nous rappelle que l'on doit aller voir une nouvelle fois le curé. C'est vrai qu'il nous en avait parlé, mais nous ne lui avions jamais promis quoi que ce soit à ce sujet. Je lui explique que, l'autre jour, c'était la cérémonie religieuse, nous n'avons pas été voir les autorités civiles car le prêtre n'aurait pas apprécié qu'on lui tronque sa fête ; aujourd'hui, c'est la fête de CUONG, il n'est pas question que l'on aille voir les autorités religieuses, et le fait que le pouvoir vietnamien continue de les "mépriser" nous autorise à penser que ce serait très mal perçu ! TUAN refusera de traduire ! Voyant cela, la mère biologique nous demande de l'attendre là car elle a une lettre à nous donner.

Ce n'est pas qu'une lettre qu'elle nous apporte, il y a aussi deux grands sacs de thé. Je demande à TUAN combien d'argent cela représente ? Pour lui, c'est peut-être 30$. Je lui demande de me traduire :

"Nous sommes très touchés, mon épouse et moi, par vos cadeaux, mais nous ne pouvons les accepter car ils vous priveront trop de l'essentiel. Vous nous avez déjà fait le plus beau cadeau dont on pouvait rêver ! Pourquoi vouloir en rajouter ?"

Visiblement, pour la mère, cela ne suffit pas et elle continue à me tendre ses deux sacs.

"Bon, d'accord ! On ne va pas vous contrarier. Nous prendrons le plus petit des deux sacs."

Elle accepte ma nouvelle proposition... mais j'ai bien l'intention "d'oublier" ce sac dans les mains du père en partant.

Sur ce, l'heure de se quitter approchant, nous sortons sur le devant du bâtiment pour faire des photos en attendant la voiture. Le jeune frère - celui qui a pratiquement perdu la vue - ne s'intéresse plus qu'au hochet de Damien qu'Evelyne vient de lui offrir. Le départ sera, bien sûr, un peu triste, mais il n'aura pas l'intensité dramatique que l'on a connu 25 jours plus tôt ! Je n'ai pas réussi à me débarasser du sac de thé ; pourtant, j'avais bien préparer mon coup : En m'asseyant, j'ai fait mine qu'il me gênait ; je l'ai tendu au père, je me suis assis et j'ai fermé la porte. Elle le lui a repris des mains, a rouvert la porte et me l'a posé sur les genoux !

16h30 : GOOD BY YEN BAŸ !

Nous arriverons à Hanoï vers 21h00. La voiture était en bien meilleur état que celle de notre premier retour. Le voyage s'est passé sans trop de fatigue et sans trop d'émotions. Ce chauffeur avait une dextérité inouïe pour éviter les obstacles. Il a quand même failli pulvériser un cycliste et s'est permis un petit 120km/h sur une ligne droite.

Samedi 8 janvier 1994

De bon matin, je retourne voir Mme HA avec mon dossier. Elle n'en a pas besoin et n'a toujours pas de raison pour me venir en aide. Comme elle est très pressée, je repasserai cet après-midi pour reprendre le vieux dossier qui traîne dans son placard (pour donner à Damien lorsqu'il sera plus grand). Je vais chez Mlle PHUONG : Même son de cloche (?). Comme il ne nous manque que le passeport et le visa de sortie de Damien, j'irai carrément en faire la demande au Ministère de l'Intérieur ! Je retourne à l'hôtel pour avoir son adresse.

Lorsque j'arrive dans la section émigration/immigration de ce ministère, la personne à qui je montre les papiers de Damien me demande de m'asseoir là et d'attendre. Une bonne heure se passe et nul ne s'est encore occupé de moi. Je me lève et demande à cette personne si je dois encore attendre longtemps. Elle me conseille de revenir cet après-midi (son anglais est assez "rudimentaire").

Après le repas, je retourne donc à cette section. Un fonctionnaire apathique prendra mes papiers - avec les 3 photos - et me donnera un reçu mentionnant que le passeport sera prêt dans 5 jours. Je retourne voir Mme HA pour y récupérer le vieux dossier.

Lorsque j'y arrive, elle est occupée au télephone. Ca a l'air important si j'en juge par ses éclats de voix. Au bout de 15 bonnes minutes, elle raccroche enfin. Elle vient vers moi et, toujours aussi iritée, me dit :

"Vous avez fait n'importe quoi avec Yen Baï ! Tout est à refaire ! Vous n'avez rien respecté et il manque un papier."

Heureusement que j'étais assis, sinon je m'écroulais !

Mais comment a-t'elle appris tout ça ? Qui le lui a dit ? Je suis très-très surpris. Elle me répond qu'elle était en ligne avec quelqu'un du Ministère de l'Intérieur et que c'est lui qui vient de lui dire tout ça. Je n'en saurais pas plus (cette dame a un besoin vicéral de cacher la vérité aux étrangers, ou quoi ?). Je lui suggère d'appeler Yen Baï et de tout leur raconter. Je lui tends le numéro de téléphone. Elle va parler pendant 20 bonnes minutes. A qui ? Je n'ai pas pensé à lui poser la question croyant que c'était CUONG qu'elle avait au bout du fil. Or, ce n'était pas lui ! Lorsqu'elle a eu raccroché, je lui demande le dossier. Je "l'aide" à se souvenir de l'endroit où il est. Elle me le tend en me conseillant vivement de rentrer en contact avec Yen Baï et même d'aller là-bas.

Je retourne en courant à l'hôtel pour que TUAN m'accompagne afin d'en savoir plus. Nous partons tous les 2 sur son vélo et arrivons au Ministère de l'Intérieur... au moment où ils ferment ! Je lui demande si on ne peut pas aller à la Justice, dès fois qu'ils aient d'autres infos. En chemin, suite à une fausse manoeuvre de ma part, nous prendrons une superbe "gamelle". Nous y arriverons alors que tout est fermé.

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Christine. Je vais dans la vieille ville lui acheter un stylo comme celui que j'ai offert à CUONG (plus un pour moi et un autre pour Evelyne). C'est la moindre des choses de notre part, puisqu'elle nous invite au restaurant, ainsi que TUAN et un vieux monsieur. Nous lui faisons un "superbe" paquet cadeau, avec une couche culotte - vierge - entourée de papier hygiénique. Elle est très heureuse de cette attention, surtout qu'elle ne s'y attendait pas.

Nous allons au restaurant découvert l'autre soir. Le monsieur s'appelle SON et c'est un professeur très (trop ?) érudit. Il parle sans cesse de tout... jusqu'à ce que le repas commence. A partir de là, il ne dit plus le moindre mot ! Il ne reprend son flôt de paroles que lorsqu'il a fini de manger ! C'est très surprenant, mais il paraît que c'est assez habituel chez les Vietnamiens âgés.

Demain, nous irons avec lui visiter un des plus beaux temples du Viet-Nam. Evelyne restera à l'hôtel car elle n'a jamais éprouvé beaucoup de passion pour les vieilles pierres, de plus, elle est toujours un peu fatiguée. Elle gardera Damien.

Dimanche 9 janvier 1994

Ce n'est que vers 9h00 que nous partons vers ce temple. Après une heure de route (pour 40km), nous y arrivons enfin. Il est situé sur une petite colline, mais la brume ne nous permettra pas de profiter de la vue exceptionnelle sur la plaine qui nous avait été promise. La particularité de ce temple est qu'il est construit tout en bois, même les superbes volutes de la corniche, les bas-reliefs de la frise... A l'intérieur, les statues de bouddhas sont de la taille d'un Européen, il y en a une bonne vingtaine - 4 ont été volées - toutes en bois elles aussi et merveilleusement figuratives.

SON est intarissable dès qu'on lui demande de parler des différents courants confessionnels existant au Viet-Nam ; pour une fois, ses explications sont fort instructives et je ne me lasse pas de l'entendre nous parler des différences entre les bouddhas, du rôle qu'ont joué certaines religions pendant la guerre (soins aux blessés, sermons contre l'adversité, etc), des nouvelles religions extrême-orientales (qui ne sont pour lui que des sectes déguisées)...

Sa popularité est impressionnante : ce temple est visité en permanence par des touristes (beaucoup trop à mon goût ! ), pas un des guides ne manquera de venir le saluer. Deux religieuses qui vivent à côté dans un petit monastère viendront à sa rencontre ; elles nous invitent à les suivre dans leur lieu d'isolement. Nous nous asseyons sur des bancs de bois devant une grande table austère pendant qu'elles nous servent l'incontournable tasse de thé. A cet instant arrivent 2 intrus à la bedaine généreuse qui s'installent à notre table après avoir visité et photographié toute la pièce.

"You are not invited to set here !" lâchais-je, excédé.

"A bon", me répond l'un d'eux.

"Et en plus, vous êtes Français !"

"Mais je croyais que ça faisait parti de la visite !" me dit-il en se levant et en reposant sa tasse de thé vide. Ils repartirent en continuant de mettre leur nez partout comme si rien ne s'était passé !

Nous sommes de retour à l'hôtel vers 14h30, le ventre vide. Je leur propose d'aller faire une "ventrée" de nems dans le boui-boui de l'autre soir ; ils acceptent avec plaisir. SON nous refait le coup du mutisme total pendant qu'il mange ! C'est surprenant la première fois mais fort déplaisant la seconde : Vous êtes en train de parler avec quelqu'un : d'un seul coup, il se tait parce qu'il vient d'être servi ! Le reste de la journée sera passé à chercher quelles peuvent bien être les raisons du coup de téléphone du Ministère de l'Intérieur à Mme HA ?

Lundi 10 janvier 1994

J'arrive vers 9h00 à la section émigration/immigration. C'est sans le moindre commentaire que mon fonctionnaire apathique me rend les papiers de Damien (je viens de lui tendre le reçu). Il me montre un de ses collègues en train de discuter dans une autre pièce avec des clients. Je me place à leurs côtés et j'attends, mes papiers à la main. Lorsqu'il m'adresse la parole, je me contente de les lui tendre. Il les regarde et me demande de m'asseoir et d'attendre. Vers les 11h00 arrive enfin quelqu'un qui veut bien s'occuper de moi. Il consulte les papiers et me dit je ne sais trop quoi dans un anglais totalement incompréhensible. Je le fais répéter. Je ne comprends toujours pas. Il parle bien en anglais, avec aisance même, mais je ne comprends rien de ce qu'il me dit ! Par contre, lorsqu'il me demande de revenir cet après-midi avec un interprète, là, je le comprends parfaitement ! Bizarre.

Je reviens à 14h00, avec Evelyne, Damien et TUAN. La personne que j'avais vu en dernier ce matin n'est pas là. Nous nous adressons à mon fonctionnaire apathique. Après une brève discution avec TUAN, il nous dit qu'il ne peut rien pour nous, il faut que l'on attende que la personne que j'ai vu ce matin revienne. Quelqu'un a peut-être été le chercher car le voici. Pour lui, il manque un papier. Il faut retourner à Yen Baï et reprendre tout le dossier parce qu'il y a un gros problème et CUONG n'aurait jamais dû nous remettre officiellement l'enfant.

"Mais quel papier ? Nous avons eu Monsieur CUONG ce matin au téléphone et pour lui tout est complet, tout est fini !"

A ce moment là, pris d'un énorme doute, je lui demande :

"Mais qui donc êtes vous ? Je parle avec vous depuis ce matin et vous ne vous êtes toujours pas présenté ! Pourrions-nous savoir ce que vous faites ici ? Etes-vous un usager ou quelqu'un du service ? ".

Dans ma tête venait de traverser la vision d'un intermédiaire vicieux qui allait, si nous lui donnions notre dossier, nous faire chanter.

"Attendez moi là ! " me dit-il en colère. "Attendez moi là, je reviens de suite."

Nous n'attendrons pas longtemps. Il revient bientôt en tenue militaire (c'est un capitaine, d'après TUAN).

"Comme ça, cela vous va ? Voyez avec Yen Baï, eux seuls peuvent quelque chose pour vous."

"Mais regardez au moins le dossier !" dit Evelyne en tapant de la main sur le comptoir.

"Ne tapez pas sur le comptoir !" supplie un homme de l'autre côté.

TUAN2 prend le dossier, le glisse à l'homme qui vient de parler de l'autre côté du comptoir, puis nous dit :

"Revenez dans 15 jours, c'est le temps qu'il va nous falloir pour l'examiner."

"Mais c'est pas possible !" hurle Evelyne en tapant une nouvelle fois sur le comptoir,

"Nous ne pouvons pas rester ici tant de temps. Si c'est comme ça, prenez Damien et faites en ce que vous voulez !" tout en le posant sur le comptoir.

"Arrêtez de taper sur le comptoir ! Je vous conseille de sortir pour vous calmer !" hurle l'homme de l'autre côté.

Voyant que la situation est complètement bloquée, je reprends le dossier et je dis à TUAN2 "OK, OK ! Nous allons voir avec Yen Baï" J'ajoute à destination d'Evelyne :

"Viens, ce n'est pas la peine de rester ici, nous n'en saurons pas d'avantage !"

Quand à TUAN, dans ce genre de situation, il se contente de traduire - sûrement mal car TUAN2 s'est adressé à nous en anglais (un très bon anglais, cette fois ? ) - et de se faire oublier le plus possible.

En sortant, nous allons, Evelyne et moi, à l'Ambassade de France voir avec Mme Brévinion ce que l'on peut faire. Pour elle, il faut toujours garder le sourire face à eux, ne jamais râler même si on a de bonnes raisons de le faire et accepter de bonne grâce tout ce qu'il vous demande de faire. Ce n'est pas tout à fait ce qui c'est passé !

En rentrant à l'hôtel, nous nous arrêtons chez HONG pour avoir leur avis. Ils pensent que la situation s'arrangera petit à petit, mais il ne faut pas chercher à brûler les étapes. En premier, voir avec Yen Baï quel est le papier qui manque ; ensuite, essayer de parlementer avec TUAN2 pour savoir ce qu'il veut exactement. Je demande à HONG s'il ne pense pas que d'aller revoir TUAN2 avec un interprète un peu plus qualifié que TUAN ne serait pas souhaitable, car j'ai l'impression que le blocage est peut être dû à certaines interprétations de TUAN, ce que confirme le fait que TUAN2 nous ait rapidement parlés en anglais ! Il accepte de m'accompagner demain à la section émigration/immigration à 9h00 (il a un travail à faire à son bureau avant).

Je dis à TUAN, pour ne pas le "froisser", que j'ai rendez-vous avec un interprète officiel de l'Ambassade de France et, qu'ensemble, nous irons parler à TUAN2. Demain, lorsque je le reverrai, je lui dirai qu'en sortant de l'hôtel, je suis tombé sur HONG qui m'a demandé où j'en étais ; lorsque je lui ai dit que j'allais à la section émigration/immigration avec un interprète, il a tenu à jouer ce rôle personnellement.

Mardi 11 janvier 1994

A 9h00 précise, HONG arrive devant chez lui. Après qu'il se soit changé, nous partons en moto pour voir TUAN2. Nous apprendrons là-bas qu'il ne peut pas nous recevoir avant 11h00. Rendez-vous est pris. Je retourne à l'hôtel et HONG à son travail ; nous nous retrouverons un peu avant 11h00. En fait, le bureau de HONG est juste à côté de la section émigration/immigration ; si je l'avais su, je lui aurai évité de faire l'aller-retour ce matin. Il va essayer de contacter 2 personnes du Ministère de l'Intérieur qu'il connaît très bien.

A 11h00, nous nous retrouvons tous les 2 à attendre TUAN2. Il me dit que la personne la plus influente qu'il a cherchée à joindre est actuellement en déplacement à Saïgon (ils ne disent que très rarement Ho Chi Min ville), mais il lui a laissé un message. Par contre, l'autre a commencé à se renseigner pour essayer de trouver une solution. Là-dessus, TUAN2 arrive.

"Je m'excuse pour hier, nous nous sommes un peu emportés."

"J'ai beaucoup de travail. Vous n'avez rien d'autre à me dire ?"

"Monsieur CUONG ne comprend toujours pas pourquoi vous ne voulez pas nous donner le passeport de l'enfant."

"Il manque un papier."

"Lequel ?"

"Ce n'est pas à moi à apprendre son travail au responsable de la Justice de la province de Yen Baï."

"Très bien ! Monsieur CUONG a mal fait son travail ; mais pour lui, ce travail est fini, la procédure est terminée, le dossier est bon et il ne veut plus en entendre parler. Il dit qu'il n'y a aucune raison qui justifie ce blocage."

Je lui tends le dossier et lui demande :

"Y a t'il dedans un papier de mauvais ou d'absent ?"

"Non, ce dossier est bon ! Mais il y a erreur dans la procédure."

"(???)" ... "Mais à quel niveau ?"

"C'est à Yen Baï qu'ils ont fait des erreurs, ils n'ont pas respecté la procédure."

"Bon ! Visiblement, il y a pour vous un problème, mais il ne doit pas être si gros que ça, sinon le service de Monsieur CUONG, qui le cherche depuis samedi, l'aurait trouvé. Je suis sûr que vous n'avez pas tous les jours des cas semblables à traiter. Aussi je vous demande, puisque à Yen Baï, plus personne ne veut m'écouter, de bien vouloir passer au-dessus de ce problème. Pouvez-vous faire pour moi un effort, une exception ? ... Je suis bien conscient que cette exception va entrainer des frais exceptionnels !"

"Il n'y a pas ici d'exception ! Ou c'est bon, ou c'est mauvais !" ... "La loi, c'est la loi !"

Nous n'en saurons pas plus.

"Pouvez-vous, au moins, téléphoner ce que vous savez à Monsieur CUONG ; voici son numéro. Croyez-moi, il se fera un honneur de vous satisfaire."

Il me promet de l'appeler dès qu'il en aura le temps et il s'en va.

L'après-midi, je retourne voir Mme HA. Lorsque j'arrive dans son bureau, elle est en conversation avec un autre couple de Français. Dès qu'elle me voit, elle les abandonne et vient me parler. TUAN2 lui a bien expliqué qu'il lui manque un papier, mais elle ne sait pas lequel. Je suis sûr qu'elle me ment. J'élève la voix. Je lui remémore la chronologie des évenements. Ce dont je lui tiens le plus rigueur, c'est que, manifestememt pour elle, j'ai essayé de jouer au plus malin avec eux et qu'elle est bien contente de ce qui m'arrive. Or, je n'ai jamais cherché à frauder, c'est elle qui m'a dit de faire tout ce que j'ai fait ; elle ne doit pas me le reprocher maintenant. Elle fini par en bafouiller, par se contredire. Mais je n'obtiendrai rien !

Quant à TUAN2, je pense qu'il continuera à nous bloquer pendant quelques jours, puis il nous demandera de lui faire un don... C'est seulement après qu'il nous donnera le passeport de Damien sans avoir eu besoin du moindre papier !!! Evelyne est prête à tout pour avoir cet enfant, ça ne la gènera pas. Moi, par contre, je n'aime pas ça du tout. En plus, je pense que lorsqu'on met un pied dans ces pratiques, on n'en sort plus car ils vous demanderont encore et encore... nous en avons eu plusieurs fois la preuve. Il ne faut pas négliger, de surcroît, le risque de voir tout bloquer sous prétexte de tentative de corruption !

De toute façon, comme nous sommes en règle par rapport aux lois vietnamiennes, si TUAN2 nous bloque pour avoir de l'argent, j'espère qu'il va s'en mordre les doigts lorsque les relations de HONG vont intervenir, ce qui n'est plus qu'une question de jours.

Du mercredi 12 au lundi 17 janvier 1994

Je vais passer mon temps à faire le médiateur entre CUONG et TUAN2. Envoie de Fax, coups de téléphone, siège. de la section émigration/immigration... rien ne me permettra de résoudre le problème. Tout mathématicien vous dira que, pour résoudre un problème, il suffit de l'énnoncer. Or, je n'y arrive pas ! La faute à qui ? A une seule personne : TUAN2 ! C'est lui qui bloque tout. En effet, il ne se passait pas un jour sans que CUONG ne cherche à le joindre (jusqu'à 4 appels téléphoniques dans la journée). Mon fonctionnaire apathique (qui est le bras droit de TUAN2), lui répondait inlassablement qu'il était trop occupé pour pouvoir répondre au téléphone. A moi, il me disait que seul TUAN2 pouvait m'aider ; il fallait traduire par : "Je ne peux rien faire et je ne veux pas vous parler !"

Quant aux réponses de TUAN2, en voici un extrait ::

§ "Je suis beaucoup trop occupé..."

§ "Voyez avec Yen Baï..."

§ "Ce n'est pas moi qui suis responsable du problème..."

§ "Je n'aime pas les Français... et les Occidentaux en général !"

§ "Ne venez pas tous les jours dans nos locaux, vous gênez le service !"

Parmi les petits "cadeaux" qu'il nous a fait, il y en a un de remarquable : Au lieu de nous renouveller nos visas normallement (2$ par visa), il nous en a apposé un nouveau (25$ le visa) en me demandant d'aller à la police des frontières régulariser cette situation... car il nous manquait le tampon portant la date de notre arrivée au Viet-Nam sur ce nouveau visa. Bien entendu, la police des frontières a refusé de nous le faire puisque nous n'étions pas sortis. Mais là, c'est sur des citoyens Français qu'il venait de commettre son méfait. Avec Evelyne, nous avons immédiatement été nous plaindre auprès de Mme Brévinion. Deux jours plus tard, pendant que j'attendais dans mon coin, est arrivé à la section émigration/immigration, un des Vietnamiens qui travaillent à l'Ambassade de France. Après une brève entrevue, TUAN2 est venu me voir, m'a demandé mon passeport... et m'a dit qu'il était en règle. Je lui signale que la police des frontières nous a donné 3 jours pour faire "disparaître" cette anomalie, il me répond que, s'il y a un problème, il en fait son affaire !

Je suis de plus en plus convaincu que TUAN2 n'attend pas de l'argent et j'en ai la preuve un jour : Je rencontre un Français qui est au Viet-Nam pour une association. Il a pour charge de continuer les démarches d'adoption lorsque le couple est obligé de retourner en France avant la fin. Bien entendu, il faut faire parti de cette association pour bénéficier de ses services. Il connaît bien TUAN2. C'est un militaire qui a été nommé à ce poste pour ses qualités d'intégrité et de respect strict du réglement. Il remplace une femme totalement corrompue qui est en prison maintenant. Sa "mission" est de "faire tomber" toutes les filières qui font du fric avec les adoptions !

Mardi 18 janvier 1994

Vers 9h00, je retourne chez Mme HA parce que, la veille, TUAN2 m'a donné le nom d'une personne de son service qui peut m'aider. Lorsque j'y arrive, Mme HA est au téléphone. Je m'adresse à une autre personne. Elle va chercher la dame que je suis venu rencontrer. Je lui dit que c'est Mr TUAN qui m'envoie (je lui montre le papier sur lequel il a griffonné son nom).

"Il m'a dit que votre service savait quel était le papier qui me manquait" (je mens parce qu'il m'a seulement dit qu'elle pouvait m'aider !).

Elle me répond que c'est faux, qu'elle ne voit vraiment pas de quoi il peut s'agir. Pendant 5 minutes, elle va refuser de me dire quoi que ce soit. Puis Mme HA arrive à son secours. Je lui dis que je ne suis pas venu pour donner le dossier à son service, mais seulement pour qu'elle m'aide :

"TUAN2 m'a envoyé chez vous parce que vous avez le papier qui me manque. Pouvez-vous me le montrer ?"

"Nous n'avons pas ce papier ici."

"Mais il dit quoi ? Ce papier !"

"Il dit à peu près ça... " et elle me décrit ce qui est habituellement mentionné sur ce papier. Je commence à jubiler. Je lui demande de téléphoner à CUONG et de le lui décrire. Elle accepte.

Pendant qu'elle lui téléphone, je reviens à la charge sur l'autre personne.

"Si vous êtes capable de me décrire ce papier, c'est que vous le voyez souvent. Je suis sûr que vous en avez un dans un des dossiers en cours. Pouvez-vous m'en faire une photocopie ?"

"Nous n'utilisons pas ce papier, nous n'en avons pas !"

"Mais alors, qui l'utilise ? Où pourrais-je en trouver un ? A la Justice ?"....

Mme HA vient de raccrocher. Elle va à son bureau et commence à se remettre dans ses dossiers. Elle ouvre le premier, en extrait une feuille et va au photocopieur. En revenant, elle me dépose la photocopie devant moi.

"Le voilà, ce papier ! Mais ce n'est pas à vous à déposer le dossier. Il faut que ce soit quelqu'un de la Justice."

Cela fait 20 minutes que je suis dans ce bureau à leur faire un scandale ! Et me voilà enfin avec mon papier et mon erreur de procédure !!! Je suis aux anges...

Il aura fallu 10 jours à Mme HA pour admettre que ce papier existait et m'en donner une photocopie. Pendant 10 jours, elle m'a menti. Je suis trop heureux de pouvoir adresser quelque chose de concret à CUONG pour avoir le coeur méchant et lui dire ce que je pense d'elle. Mais que l'occasion ne se représente pas, parce que je ne la manquerai pas !

Je cours immédiatement à l'hôtel pour que TUAN me traduise le papier. C'est une demande d'ouverture de dossier adressée au Ministère de l'Intérieur, section émigration/immigration, en vue d'accélérer la délivrance du passeport !!! C'est parce qu'il lui manquait ce papier et que c'est moi qui aie apporté le dossier et non quelqu'un de la Justice, que TUAN2 a tout bloqué ! Il est complètement mégalo, ce type ! Lui non plus, si l'occasion se présente, je ne le manquerai pas !

Je demande à TUAN de téléphoner à CUONG pour lui signaler que nous allons lui envoyer le papier par Fax. Dès qu'il l'a reçu, qu'il nous rappelle pour savoir quel usage il compte en faire ? Mais je lui demande de se rappeler aussi que le dossier est bloqué depuis 10 jours à cause de ce papier.

CUONG nous rappelle une bonne demi-heure plus tard (les Fax arrivent à la Poste et il faut envoyer quelqu'un les chercher). Il ne comprend toujours pas pourquoi TUAN2 a tout bloqué car ce papier n'a aucune valeur. Je le supplie d'en rédiger un malgré tout et de nous le faire passer par le moyen le plus rapide qu'il connaîsse. Au besoin - et s'il accepte - nous lui louons une voiture pour qu'il vienne lui même à Hanoï. Il va demander à son Président ; mais pour lui, il n'y a pas de problème, il peut venir. Ca l'interesse d'autant plus qu'il veut vérifier auprés de sa chancellerie si ce papier est un papier officiel et nécessaire. Il nous rappelle en fin de matinée pour nous donner la réponse. Je lui fait savoir que, s'il vient, il aura une chambre de réservée à notre hôtel.

Je demande à TUAN de lui réserver une voiture à Yen Baï par téléphone. Il n'en trouvera pas, mais pour lui, il n'y a pas de problème : Dès que je lui donne le feu vert, il envoie quelqu'un le chercher. Vers 11h30, CUONG rappelle : C'est d'accord, il vient ce soir. TUAN s'occupe de la voiture immédiatement. Je monte annoncer la bonne nouvelle à Evelyne.

Vers 14h00, je demande à TUAN à quelle heure est partie la voiture. Il me répond qu'elle vient juste de le faire. Je calcule : il faut entre 8 et 10h pour faire l'aller retour. Nous sommes habituellement couchés à l'heure où il arrivera, mais je l'attendrai !

23h30 : La voiture n'est toujours pas arrivée. Je laisse TUAN seul à attendre.

Mercredi 19 janvier 1994

8h30, arrivée de TUAN dans notre chambre : CUONG est bien là, il est arrivé vers 2h du matin. Le voyage s'est bien passé, il n'a seulement pas pu partir plus tôt. Ils ont dormi dans la même chambre.

9h00, CUONG rentre dans notre chambre, récupère le dossier et va au Ministère de la Justice.

11h30, il téléphone pour nous annoncer que tout est bon à la Justice. Il a maintenant rendez-vous avec le supérieur de TUAN2.

15h00, il revient triomphant : Le directeur de la section émigration/immigration s'est engagé à s'occuper personnellement du dossier si TUAN2 ne veut toujours pas le faire... mais, pour lui, ça l'étonnerait beaucoup. De toute façon, il n'y a plus de problème. Je suis quand même un peu inquiet car, si le dossier est maintenant dans les mains de la section émigration/immigration, nous n'avons pas de reçu. J'espère qu'il ne va pas "disparaître" ! CUONG nous signale qu'il dormira ce soir dans un hôtel appartenant au Ministère de la Justice, donc ce n'est pas la peine de lui conserver sa chambre. Demain, il prendra le train sans repasser par l'hôtel. Il préfère que l'on ne nous voit pas trop ensemble de peur d'être accusé de corruption. Sur ce, il part faire quelques courses. Rendez-vous est pris pour souper ensemble vers 20h00, heure à laquelle TUAN sort de son cours d'anglais.

Le repas sera parfait, toujours au même restaurant. Pour une fois, Evelyne et moi laissons à CUONG et TUAN les crevettes grillées aux foies de volaille. Je me régale avec des oeufs brouillés au crabe et Evelyne avec des beignets de crevettes. Nous allons beaucoup parler et ce n'est que vers minuit que nous nous quitterons.

Jeudi 20 janvier 1994

J'arrive à la section émigration/immigration un peu avant 11h00. TUAN2 est toujours aussi ponctuel... et aussi pressé. Il me confirme qu'il n'y a plus de problème. Il me demande, pour définitivement débloquer le dossier, de lui rédiger un papier relatant tout ce que j'ai fait pour obtenir l'enfant. Je le lui promets sans peine.

Nous allons enfin avoir le passeport... mais quand ? Je n'en ai pas la moindre idée. Simplement, TUAN2 me demande de repasser le voir au milieu de la semaine prochaîne. Je lui rédige son papier et je l'apporte à HONG pour qu'il me le traduise (3 pages écrites serrées, cela va lui prendre du temps).

Vendredi 21 janvier 1994

Nous déambulons dans les rues de Hanoï. Le moral est bien remonté. Nous rencontrons dans l'hôtel 3 Français "hyper-sympa". Ce sont des Eurasiens (moitié Français/moitié Vietnamien) qui viennent pour la première fois au Viet-Nam y chercher leur famille. TUAN me signale qu'un autre Français vient d'arriver. Lui, il a des relations très haut placées au Ministère de l'Intérieur.

Samedi 22 janvier 1994

Pendant que nous racontons toute notre histoire aux 3 Français, l'autre Français vient s'asseoir à côté de nous. Notre histoire l'interesse, mais il dit qu'elle interessera surtout son ami. Il nous demande l'autorisation de lui en parler. C'est avec joie que, Evelyne et moi, acceptons. Il vient souvent à Hanoï pour ses affaires. Il est lui aussi moitié Français/moitié Vietnamien ; il travaille dans l'import-export et l'organisation touristique.

Dimanche 23 janvier 1994

Nous rencontrons l'ami du Français. Il nous dit que notre histoire a fort déplu au gouvernement vietnamien.

"Au gouvernement vietnamien !?!" m'exclamai-je ! "Vous êtes sûr que c'est au gouvernement vietnamien ? En France, le gouvernement, ce sont les ministres et, à la rigueur, les directeurs de cabinet."

"Oui Monsieur, au gouvernement vietnamien. Nous sommes en train d'essayer de renouer les amitiés franco-vietnamiennes et votre histoire est édifiante. Nous ne pouvons admettre que vous ayez été traités de la sorte ! Veuillez, si ce n'est pas trop vous demander, nous rédiger un rapport sur toute cette affaire. Essayez de ne pas prendre parti, simplement de relater."

"A qui dois-je l'adresser ?"

"Vous mettez : "Messieurs" et ça suffira. N'oubliez pas d'y mentionner les préjudices que cela vous occasionne : professionnel, financier, familial..."

"En français ou en vietnamien ?"

"En français, il n'y a pas de problème." (C'est vrai qu'il parle un français remarquable).

Lundi 24 janvier 1994

Je rédige le papier pour le Ministère de l'Intérieur. Comme il n'a pas fixé de date, je me demande si tout cela est bien utile.

Mardi 25 janvier 1994

C'est Evelyne qui le lui remettra (je n'étais pas dans l'hôtel à ce moment là). Après l'avoir lu, il n'aura qu'une seule phrase :

"Ce Monsieur a du mouron à se faire !"

Mercredi 26 janvier 1994

J'arrive vers 9h00 à la section émigration/immigration. Immédiatement, Mr TUAN vient vers moi (il n'est pas à son instruction, aujourd'hui ?) et me demande de le suivre un peu à l'écart :

"Vous savez, il ne faut pas croire tout ce qu'on dit sur moi, j'aime bien les étrangers. Je ne suis pas ici pour vous "embêter" (for fuck you !). Si votre dossier est bon, je fais tout pour vous aider !"

"VOUS nous avez bloqués ici pour rien ! VOUS êtes le SEUL responsable ! Mais ce n'est pas important. Ce qui est important, c'est un bébé qui attend sans savoir si sa nouvelle famille pourra l'emmener avec elle quand elle s'en retournera dans son pays. Il l'aura quand, son passeport ?"

"Demain après-midi. Mais je vous avais demandé un papier et vous ne me l'avez pas donné !"

"Vous l'aurez cet après-midi."

Je regagne l'hôtel en courant. En passant, je récupère chez HONG la dernière page de la traduction pour TUAN2. Lorsque j'annonce à Evelyne que nous aurons le passeport de Damien demain, elle ne veut pas le croire, elle est sûre qu'ils ne nous le donneront pas.

C'est vers 15h00 que je retourne voir TUAN2. Je le vois assis au milieu de la salle d'attente en train de parler avec d'autres personnes. Tiens, tiens ! Il n'est pas à son cours d'anglais. Est-ce que mon "rapport" au Ministère de l'Intérieur a déjà eu des retombées ? En tout cas, aujourd'hui, Monsieur est à son poste toute la journée. Dès qu'il me voit, il se lève et vient à ma rencontre. Je lui tends mes feuilles. Il les lit rapidement, à la recherche d'informations ayant quelques importances. Il s'arrête sur les 3000$ que m'avait demandé un hôpital de province :

"Qui c'est ? Je veux des noms !"

"Ce n'est pas moi qui suis intervenu, c'est l'interprète. Cela c'est passé par téléphone et j'ai refusé de parler à cette personne."

Là, je réalise que si je veux m'exprimer totalement, il faut trouver quelqu'un capable de traduire le français en vietnamien, car mon anglais n'est pas assez riche pour me le permettre. Je lui demande si, dans son service, il n'y a pas quelqu'un qui parle français ? Immédiatement, il se met à interroger tout le monde - y compris les usagers - à la recherche d'un interprète. Une Vietnamienne, qui venait d'entrer, accepte de jouer ce rôle :

"Je disais que c'est un hôpital de province. Où ? Je ne sais pas. Qui dans cet hôpital ? Je ne le sais pas non plus. Lorsque l'appel est arrivé à l'hôtel, je n'y étais pas. C'est le jeune qui me sert d'interprète qui m'a dit que cette personne avait un bébé pour moi, mais qu'il lui fallait 3000$. Il attendait notre réponse. J'ai demandé au jeune de ne pas lui répondre, qu'un comportement pareil ne méritait que notre indifférence. Mais si vous voulez, je peux vous donner ce numéro de téléphone demain."

"Oui, cela me ferait très plaisir. Parce que, vous savez, pour moi, un enfant, ce n'est pas une denrée à vendre et je veux faire cesser ces agissements."

"Je suis tout à fait d'accord avec vous. Avec mon épouse, nous sommes venus dans votre pays pour y faire un acte d'amour et non notre marché ! Je sais plein de choses sur la corruption dans les hôpitaux, mais je n'ai aucune preuve. Et dans tous les pays, faire des accusations sans preuves, c'est faire de la diffamation. Comme notre but actuel est de

quitter votre pays, vous comprendrez que je ne tiens pas à avoir d'autres ennuis."

lui disais-je en le regardant droit dans les yeux et en appuyant fortement sur ennuis

"Mais, dès que je serai en France, je me ferai un honneur d'en aviser qui de droit pour mettre fin à ces pratiques."

"Pourquoi attendre votre retour en France ? Je vous jure que vous ne craignez rien ici, vous êtes sous ma protection."

"Votre protection ! Après ce que vous m'avez fait ! Votre mémoire est volatile ! Non, non, non ! Je ne vous donnerai rien de plus."

Pour la première fois, ce TUAN2 m'est devenu un peu sympathique. En sortant, je vais chercher à l'Ambassade de France les formulaires de demande de visa pour Damien.

Jeudi 27 janvier 1994

C'est vers 10h00 que j'amène à TUAN2 trois numéros de téléphones. Je lui explique que le jeune se rappelle bien dans quelle province c'était, mais pas quel hôpital. Il n'a qu'à procéder comme nous : Il leur téléphone en disant qu'il est un interprète qui recherche, pour un couple de Français, un bébé de moins de 6 mois et de sexe masculin si possible. Il peut même utiliser cette méthode dans d'autres provinces. Je lui demande si le passeport sera toujours prêt à 16h00. Il n'y a pas de problème, il sera prêt.

A 15h30, je retourne chercher le passeport. TUAN2 me rappelle qu'il me l'a promis à 16h00 et qu'il ne peut être prêt avant (?). Il me demande si, par hasard, je n'aurai pas d'autres renseignements à lui fournir sur la corruption dans les hôpitaux. Je lui renouvelle ma réponse : Je ne ferai d'autres révélations qu'une fois arrivé en France.

A 16h05, il me remet le passeport de Damien, moyennant 20 000 dongs (11 francs). Je cours à l'Ambassade de France y déposer les formulaires de demande de visa (il sera prêt demain), puis à l'hôtel pour annoncer à Evelyne cette très bonne nouvelle. Sans perdre de temps, nous allons à Singapour Airlines réserver nos places dans l'avion de samedi (nous avions pris en France un billet aller-retour sans date de retour, un "open ticket") et prendre un billet pour Damien. Viet-Nam Airlines ayant le monopole de la vente des billets d'avion, c'est à cette compagnie que nous devons payer. Une de ses agences est dans l'hôtel Métropole, juste à côté de Singapour Airlines, nous y allons sur le champ. SURPRISES :

1) refus de la carte bleue et pourtant on nous avait annoncé qu'ils l'acceptaient ;

2) refus d'un billet de 20$ légèrement scotché sur un bord !

Nous allons ensuite à Air France acheter les billets Paris-Montpellier. Il faut également les payer à Viet-Nam Airlines ; l'hôtesse nous signale que seul le siège de cette compagnie accepte la carte bleue. Nous irons demain matin.

Vendredi 28 janvier 1994

Le siège de Viet-Nam Airlines est une véritable ruche dont l'organisation nécéssiterait une profonde restructuration ! Après quelques errances de guichets en guichets, nous finissons par trouver celui où on obtient les billets, puis nous allons à celui où on l'on nous débite la carte bleue pour finir à celui où nos billets seront enfin validés. Damien n'apprécie que très modérément ces lenteurs, il a faim... et il le fait savoir.

A l'hôtel, "l'ami" du Ministère de l'Intérieur vient nous rendre une petite visite (le Français étant retourné en France, c'est bien pour nous qu'il est là). Il est très heureux que nos problèmes soient enfin terminés. Je lui demande ses coordonnées pour lui adresser un courrier expliquant le trafic des enfants une fois arrivé en France. Il me répond que cela ne le regarde pas, que ce travail n'est pas pour la hiérarchie. Puis, en partant, il appelle TUAN. Après qu'ils se soient séparés, celui-ci viendra nous dire de garder secret, tant que nous n'aurons pas quitté le Viet-Nam, les entrevues que nous avons eues avec lui et surtout son intervention.

Nous prenons notre dernier repas avec le personnel de l'hôtel (personne n'ose parler), puis nous faisons nos dernièrs achats dans les rues de la vieille ville :

1) Acheter une grande valise et 2 sacs à dos. Comme la rue où ces articles sont vendus est juste derrière l'hôtel, nous en acquérons vite une de très grande (celle qu'elle remplace - et qui montre d'inquiétants signes de vieillesse - y rentrerait 2 fois) et les 2 sacs à dos pour 60$ ; nous les ramenons de suite à l'hôtel.

2) Trouver pour Evelyne une bague et pour Jean-Paul un tricot. Notre choix fait, nous nous rendons au Crédit Lyonnais pour y retirer juste ce qu'il faut pour finir notre séjour ici, puis nous revenons dans les 2 magasins acheter nos "cadeaux". Evelyne s'est choisie une petite bague montée d'un saphir exceptionnel ; il est de couleur bleu-nuit et le moindre petit rayon de lumière qui le traverse provoque dans sa largeur une irradiation d'un bleu intense. Absolument magnifique ! Les Vietnamiens n'ayant aucune idée de la valeur d'une pierre pareille, ils nous la vendent au prix de l'or ! Quant à mon tricot, c'est uniquement son rapport qualité-prix qui présente de l'intérêt.

En rentrant, nous passons faire nos adieux aux PHAN et à leur fils HONG. Ils veulent écrire un livre sur nous et faire nos horoscopes chinois. Pour cela, ils ont besoin de nos heures de naissance ; Monsieur viendra les chercher demain matin à l'hôtel avant notre départ.

Le soir, nous prenons notre dernier repas vietnamien dans un petit "restaurant" où ils servent, dans un poêlon individuel, un steack accompagné de 2 oeufs, d'oignons, d'ails et de concombres en salade sucrée. C'est succulent. Cela doit bien faire la quatrième fois que nous y mangeons et nous sommes toujours aussi satisfaits : le repas est bon et la patronne nous prend Damien dès que l'on arrive (sauf s'il dort, ce qui a souvent été assez dificile à faire comprendre en d'autres lieux).

Samedi 29 janvier 1994

TUAN ne nous a pas fait défaut ; à 10h00, la voiture est devant l'hôtel à nous attendre. Que c'est dur de quitter des gens aussi merveilleusement agréables ! Pour eux aussi, la séparation est difficile, comme si notre séjour devait se perpétuer. Le patron nous avait même invité à passer avec eux leurs fameuses fêtes du TET à la mi-février. Notre bonheur devrait être absolu tellement l'obtention de Damien a été l'unique objectif de notre couple depuis 2 ans ; nous devrions pénétrer heureux dans cette voiture qui est le symbole de la totale réussite de notre longue marche obstinée vers cet être tant désiré. Mais le coeur n'y est pas, il est trop lourd de regrets, de souvenirs... J'ai du mal à retenir mes larmes !

Une heure plus tard, nous arrivons à l'aéroport. Nos dernières galères vietnamiennes nous y attendent. En premier, comme prévu, nous avons un excédent de bagages. Je les pèse à un guicher fermé. Nous ne pouvons mettre dans la soute que nos 2 valises et un sac, soit 42 kilos. Tout le reste sera à trimballer avec nous dans l'avion. Pour finir, avant de prendre l'avion, il faut acquitter la taxe d'aéroport. Or, nous n'avons plus ni dollards ni dongs. Les francs sont acceptés, mais uniquement les billets. Evelyne aura un mal fou à payer avec un modique billet de 100F. Elle leur avait, malheureusement et involontairement, montrés un billet de 500F et ils ne voulaient être réglés qu'avec celui là. En plus, ils voulaient nous rendre la monnaie en dongs ! Enfin, ils nous rendent 2$.

14h30 : GOOD BY Viet-Nam !

Dimanche 30 janvier 1994

Après une escale de 2 heures à Singapour, nous atterrissons à 6h00 à Paris. Vol sans problème. Seuls incidents à signaler :

1) Evelyne a attrapé la "tourista" !

2) Damien n'arrivant pas à dormir à cause de la projection des films juste au dessus de sa tête, je le mets dans l'autre sens sous la réprobation des hôtesses qui craignent de voir un bagage venir l'écraser en cas d'ouverture fortuite du porte bagage.

A 9h00, nous arrivons à Montpellier. Damien n'a pas pu tenir tant de temps et il a gratifié les passagers de ce dernier avion d'effluves fort malodorantes ! Nous le changeons dans les toilettes de l'aéroport.

A 10h30, il prend possession de son nouvel univers...

Et après cette date ?

Le lendemain, je me rends au service de l'Enfance du Conseil Général de l'Hérault pour les informer de ce changement dans notre foyer. Mme Py, l'un des responsables, me reçoit avec beaucoup de gentillesse dans son bureau. Elle m'informe que nous ne pourrons pas commencer la procédure judiciaire en vue de l'adoption plénière de Damien avant 6 mois. D'ici là, nous sommes "à l'essai" et, pour vérifier que tout se passe bien, nous aurons la visite de la gendarmerie et d'une assistante sociale ; toutefois, Damien bénéficie de toute la protection sociale habituelle : sécu, alloc, crêche... Passé ce laps de temps, il ne s'appellera plus :

 

 

 

 

 

NGUYEN Van Hiêp

 

 

mais

 

 

BOUSSAC Damien, Van Hiêp

 

 

 

Quelques semaines plus tard, j'ai rédigé un courrier à notre cher capitaine TUAN, avec suffisamment de détails pour lui permettre d'intervenir… et il est intervenu ! Madame Ha, quelques autres hauts fonctionnaires, un certain nombre de directeurs d'hôpitaux ou d'hôtels, des intermédiaires de toutes sortes… se sont retrouvés en prison pour pas mal d'années.

J'avais aussi pris le soin de contacter quelques grands journaux nationaux français pour leur communiquer tout ce que je savais sur la corruption et le trafic d'enfants au Viêt-nam afin que tout le monde soit au courant, c'est Libération qui en a donné le plus large écho.

Nous avons entretenu une correspondance régulière avec la famille biologique de Damien, avec échanges de photos. Et en juillet 2000, nous sommes retournés les voir, nous avons eu droit à 3 jours de fêtes ! Leurs conditions de vie se sont bien améliorées, ils sont maintenant propriétaires d'une petite rizière.